TOUT D’ABORD un peu d’histoire de la philosophie, un terrain trop longuement préparé à notre goût, aussi serons-nous vulgairement réducteur. Les philosophes se sont, pour des raisons tenant à leurs systèmes, enlisés dans un dualisme séparant l’âme du corps, deux substances irréconciliables.
Descartes est évidemment le grand représentant d’une attitude rejetant le corps du côté d’une grande tuyauterie mécanique, pour préserver la pureté de l’âme (précaution liée à la religion) ou plus simplement par l’évidence d’un « Je pense » non souillé de passions corporelles. Le malheureux sera paradoxalement bien embêté pour expliquer à la fois l’acte volontaire (centrifuge) et le ressenti « en l’âme » du plaisir et de la douleur (centripète).
Lorsqu’au début du XIX e siècle, s’installe un monisme affirmant que la conscience et le corps sont substantiellement liés, se substituera au dualisme ancien l’idée que celle-là dépend totalement de celui-ci. Il y a bien un esprit, une conscience, mais elle n’est que le résultat des mécanismes physico-chimiques du cerveau. « Le cerveau secrète la pensée comme le foie secrète la bile », disait Taine.
Un siècle plus tard, le behaviorisme anglo-saxon supprime le problème en affirmant que personne n’a jamais vu la conscience dans une éprouvette ! Watson, et un peu plus tard Skinner, réduisent le comportement à des réflexes plus ou moins complexes et évacuent toute intériorité.
Qu’en est-il alors du sens d’une émotion réduite à un pur désordre ? Et qu’en est-il surtout, en matière d’éthique, du choix à faire : rester auprès de sa mère ou aller aider les brigades en Espagne ?
Remarquable historienne des idées, Kathinka Evers sait nous faire traverser les couloirs les plus actifs de la philo. Elle dénonce la réduction brutale de la pensée à la substance grise (la fameuse querelle du parallélisme si bien exposée par Bergson). Elle pointe du doigt la « psychophobie » scientiste des behavioristes. Pour autant, elle admet que nous ne sommes pas des purs esprits et que si le cerveau ne cause pas la pensée, les neurosciences montrent qu’il en est bien la condition active, même si celle-ci réagit sur lui par un mécanisme de feedback.
Causalité réciproque.
De fait, l’ouvrage s’adosse fortement aux conceptions exprimées par Jean-Pierre Changeux dans « l’Homme neuronal ». Pour ce dernier, le dualisme est archaïque, il y a une relation de causalité réciproque entre l’organisation neuronale et l’activité qui s’y développe et se manifeste par l’actualisation d’un comportement défini.
Est-ce à dire, en un raccourci un peu forcé, que l’organisation pourrait se structurer moralement et nous indiquer, devant un dilemme moral, le bon choix à faire ? Il semblerait que oui. Se référant à Diderot, Changeux affirme que les activités les plus élevées de l’homme sont le produit de cette fameuse organisation, sans que cela diminue leur haute qualité spirituelle. Il n’est pas jusqu’à la croyance en Dieu qui ne puisse s’allumer dans les structures cérébrales pour modifier les fonctions cognitives de manière adaptative (« le Quotidien » du 11 mars).
Le défi que tente de relever le travail de Kathinka Evers n’est pas mince. Partie de la philosophie, et même de la métaphysique, il s’agit pour elle, à l’aide des neurosciences, de déboucher (d’atterrir ?) sur la morale. On a le droit d’être sceptique. « Les neurosciences, si elles n’échappent pas au matérialisme ambiant, sont surtout le fer de lance d’une version scientifique et techniciste au poids social considérable », dit Isabelle Quéval dans « le Corps aujourd’hui » (Folio Essais, 2008). On frôle même parfois le retour des vieilles localisations cérébrales du XIX e siècle. Il n’est pas sûr que cela favorise une éthique de la liberté.
Kathinka Evers, « Neuroéthique - quand la matière s’éveille », Odile Jacob, 209 pages, 29 euros.
* Professeur au Center for Research Ethics and Bioethics de l’université d’Uppsala.
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