LE JEU D’ÉCHECS permet-il de prévenir et de lutter contre la maladie d’Alzheimer ? La littérature scientifique est muette sur le sujet. Elle devrait s’enrichir dans les années à venir de l’expérience menée par les ministères de la Santé russe et français avec les fédérations sportives des deux pays et les autorités médicales spécialisées dans le domaine de la mémoire. Dans le cadre de l’année France-Russie, 16 joueurs d’échecs seniors âgés entre 60 et 94 ans ont accepté de se prêter à cette expérience. Ils se sont affrontés entre Moscou et Nice via le système de Téléprésence, créé par Cisco et intégré par IBM, qui permet de réunir autour d’une table virtuelle des participants éloignés.
Au cours de ces rencontres, une batterie de tests neuropsychologiques a été réalisée sur les joueurs des deux équipes à l’aide de capteurs sensoriels. Les données scientifiques – émotionnelles et physiologiques – ont été recueillies et analysées à Nice et à Moscou.
Les premiers résultats ont été livrés lors d’une conférence retransmise simultanément à Moscou, Nice et Issy-les-Moulineaux, en présence de l’ex-champion de France Joël Lautier et du légendaire champion du monde russe Anatoly Karpov.
L’émotion, ennemie de la réflexion.
« Nous constatons que les capacités de mémoire, d’attention, bref l’activité cognitive des 16 participants est pratiquement la même que celle de joueurs plus jeunes », déclare le Pr Vladimir Zakharov, de la première université d’État de médecine de Moscou.
Les capteurs ont permis de mesurer l’état de stress des participants pendant une période de repos puis pendant les parties. « Il apparaît que le stress survient au moment où le joueur vient de jouer et qu’il attend la réponse de son adversaire », commente le Pr Philippe Robert, psychiatre au centre mémoire de ressources et de recherche au CHU de Nice.
« Quand un "cerveau" joue aux échecs, il perçoit d’abord l’information, affirme le Pr Bruno Dubois, neurologue à La Pitié-Salpêtrière (Paris), directeur de l’institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer (IM2A). Il la reconnaît et la traite pour en extraire le sens. Par rapport aux informations présentes et à celles d’expériences passées, il manipule les données dans une région du cerveau, le cortex frontal, pour élaborer la réponse la plus adaptée. » Des études ont montré que pour bien jouer aux échecs, l’individu doit donc faire travailler son cortex frontal mais aussi maîtriser les émotions qui pourraient contrecarrer sa performance. Or, les sujets âgés ont parfois plus de difficultés à contrôler leurs émotions lorsqu’ils sont atteints d’une pathologie cérébrale comme la maladie d’Alzheimer. « Les personnes âgées sont souvent sujettes à des modifications affectives, parfois des dépressions, qui peuvent survenir à l’occasion de leur départ à la retraite, d’un décès ou de la solitude, poursuit le Pr Dubois. Ils nécessitent une attention particulière du milieu médical. »
Une publication scientifique attendue
« Le vieillissement de la population est une préoccupation en France et les maladies dégénératives, dont l’Alzheimer, sont devenues une priorité de prise en charge, affirme le Dr Benoît Lavallart, de la mission Alzheimer. Il n’existe pas de traitement curatif de la maladie, c’est pourquoi la prévention est très importante ainsi que toute la stimulation intellectuelle et sociale, qui a montré leur efficacité. »
Le nombre de malades d’Alzheimer et des démences apparentées devrait doubler en vingt ans dans le monde et passer de 35,6 millions aujourd’hui à 65,7 millions en 2030, selon un rapport récent de l’association Alzheimer’s Disease International.
« De nombreuses études ont montré qu’une activité intellectuelle et soutenue permettait un vieillissement cérébral satisfaisant et normal. Les échecs, comme beaucoup de jeux, contribuent à prévenir la maladie d’Alzheimer », précise le Pr Robert. Le monde du jeu des rois semble relativement épargné par l’hécatombe. « Nous ne connaissons pas de joueur d’échecs renommé affecté par la maladie d’Alzheimer », observe Jean-Claude Moingt, président de la Fédération française des échecs (FFE).
L’expérience menée à Paris et Moscou devrait se prolonger dans les mois à venir. Les tests neuropsychologiques ont été enregistrés. Les experts comptent en approfondir les résultats dans le cadre d’une publication scientifique franco-russe.
Pour la petite histoire, les vétérans français emmenés par Roger Ferry, 78 ans et 51 participations au championnat de France d’échecs, ont créé la surprise en remportant la finale. Un résultat que les favoris russes auront à cœur… d’oublier.
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