L’arrivée des biothérapies a changé la donne dans la prise en charge de l’asthme sévère, une forme grave de la maladie qui affecte 3 à 6 % des asthmatiques. Un enjeu de la recherche est désormais de permettre aux cliniciens de « choisir le meilleur traitement » selon le profil du patient, explique au « Quotidien » le Pr Gilles Devouassoux, chef du service de pneumologie de l'hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, à l’occasion de la Journée mondiale de l’asthme qui se tient le 3 mai.
En France, c’est au sein du réseau de centres spécialisés dans l’asthme sévère Crisalis, labellisé F-Crin*, que sont menées de nombreuses études pour éclairer la pratique. Deux biothérapies, l’omalizumab et le mépolizumab, sont par exemple en cours de comparaison dans un essai randomisé multicentrique franco-belge, Predictumab.
La révolution des biothérapies
L’omalizumab est un anticorps monoclonal anti-IgE, dont l’arrivée en 2006 a été un tournant. « On est passé d’un traitement inhalé, qui était déjà une avancée importante dans la prise en charge des pathologies asthmatiques, à un traitement additionnel ciblant, de manière spécifique, la composante allergique de l’asthme », rappelle le Pr Devouassoux, qui coordonne Crisalis depuis le début de l'année avec le Pr Laurent Guilleminault du CHU de Toulouse. « Les bénéfices sont considérables, mais cette biothérapie ne couvre pas tous les besoins : des patients ne sont pas suffisamment améliorés et certains sont non éligibles, car ils ne sont pas allergiques », poursuit le pneumologue.
Depuis, trois autres anticorps monoclonaux sont venus compléter l’arsenal thérapeutique disponible. Le mépolizumab (un anti-IL-5), arrivé en 2018, le benralizumab (un anti-IL-5R) en 2019 et le dupilumab (un anti-IL-4R) en 2020 « ciblent l’inflammation à d’autres endroits, notamment, pour deux d’entre eux, au niveau des éosinophiles, des cellules clés dans un grand nombre de cas en pathologie asthmatique (asthme allergique et éosinophilique avec une inflammation de type 2, dit asthme T2, NDLR) », explique le Pr Devouassoux. Ces anticorps permettent « un meilleur contrôle de l’asthme et une réduction du recours aux corticoïdes systémiques », ajoute-t-il.
Ces biothérapies sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont efficaces sur les comorbidités associées à l’asthme, comme la polypose naso-sinusienne (présente dans 40 à 60 % des asthmes sévères) qui impacte le quotidien des patients et aggrave la maladie asthmatique. « Être capable de gérer avec un seul traitement à la fois la polypose et l’asthme est un grand progrès », souligne le pneumologue. D’autres comorbidités sont traitées par les biothérapies, comme l’eczéma et la dermatite atopique, mais aussi probablement l’œsophagite à éosinophiles.
L’essai Predictumab participe à définir le meilleur traitement selon les différents profils de patients dans l'asthme T2, qui représente 80 % des formes sévères. L’essai, qui doit inclure 340 patients, consiste à évaluer les traitements, après quatre à six mois de prise, « en termes de capacité à réduire les épisodes aigus, ces exacerbations qui conduisent les patients aux urgences ou qui entraînent une cure supplémentaire de corticoïdes, mais aussi en termes de réduction de la consommation de cortisone », indique le coordinateur de Crisalis.
Mieux intégrer les patients dans la recherche
Dans la perspective d'adapter les stratégies thérapeutiques selon le profil du patient, plusieurs travaux mesurant les bénéfices sur la qualité de vie sont en cours au sein de Crisalis. Car, si les biothérapies permettent une amélioration des patients, l’asthme peut rester incomplètement contrôlé et affecter le quotidien. L’étude « Second souffle » du CHU de Toulouse, dont les résultats sont en cours de publication, s’est par exemple penchée sur le profil clinique et la qualité de vie des patients asthmatiques sévères avec l’ambition de tirer le meilleur parti des biothérapies. Une cohorte observationnelle nationale, Ramses, est également en cours de lancement et va suivre 2 000 patients sur cinq ans.
La description des caractéristiques, des parcours de soins et des prises en charge thérapeutiques des patients asthmatiques est par ailleurs en cours avec l’étude épidémiologique « Asfac », menée par le Pr Guilleminault au CHU de Toulouse, sur des patients décédés par asthme en France entre 2013 et 2017. Une publication est attendue d’ici à la fin de l’année, mais les premières observations semblent indiquer un besoin de sensibilisation des patients et des médecins sur la prise en charge thérapeutique de l’asthme. Les résultats montrent en effet que les patients décédés par asthme ont subi un défaut de traitement : au cours des 12 derniers mois, plus de la moitié n’ont pas eu de traitement de fond ou un traitement de fond trop faible. Par ailleurs, moins de 10 % des patients avaient vu un pneumologue dans les 12 mois qui ont précédé leur décès.
La compréhension et la prise en compte des parcours et expériences des patients tiennent ainsi une place croissante dans les projets de recherche. Et l’un des chantiers du réseau est d’instaurer une collaboration étroite avec les patients et leurs représentants, qui ne sont « pas encore suffisamment associés à la dynamique de la recherche en asthme sévère », regrette le Pr Devouassoux. Cette collaboration est d’autant plus nécessaire que « ce qui est important pour les patients ne le sera pas forcément pour les médecins, estime le pneumologue. Les intégrer dans l’élaboration des essais thérapeutiques à venir nous permettra d’introduire des dimensions d’évaluation liées à la qualité de vie, comme la capacité à reprendre une activité sociale ou professionnelle ».
Mieux comprendre les types non-T2
Les efforts de recherche du réseau portent également sur la physiopathologie de la maladie, et notamment sur les mécanismes de l’inflammation à l’œuvre dans les 20 % de cas d'asthme sévère qui sont de type non-T2. « C’est la part sombre de l’asthme sévère, que l’on connaît très mal », selon le Pr Devouassoux. Cet asthme est généré par des phénomènes inflammatoires différents, faisant intervenir d’autres cellules que les éosinophiles, comme le remodelage bronchique notamment. L’enjeu est donc de développer de nouvelles molécules thérapeutiques.
Ainsi, le tézépélumab, un anti-TSLP, est à l'étude, sachant que la TSLP est « une molécule produite par l’épithélium bronchique en réponse à de très nombreuses agressions, pas uniquement allergiques, mais aussi liées à la pollution, à des virus ou à des bactéries », précise le coordinateur de Crisalis. La production de cette cytokine, la TSLP, par les cellules épithéliales bronchiques va in fine déclencher la cascade inflammatoire et la pathologie asthmatique. « Le tézépélumab donne des résultats jamais vus en termes de capacité de réduction du nombre d’exacerbations, en ciblant cette protéine produite très précocement en cas d’inflammation. Les résultats sont prometteurs et nous avons l’espoir d’une mise sur le marché rapide, peut-être même dès l’année prochaine », poursuit le pneumologue.
Au total, une vingtaine de projets sont en cours au sein du réseau, qui fédère recherche clinique et fondamentale depuis sa création en 2018 à l’initiative des Prs Alain Didier (CHU de Toulouse) et Antoine Magnan (longtemps au CHU de Nantes, et désormais à l'hôpital Foch à Suresnes). Le réseau Crisalis, qui regroupe 15 centres experts de l’asthme sévère (contre 11 lors de son lancement), est « un outil précieux qui a déjà permis de faire avancer la recherche et la connaissance de l’asthme sévère en France », estime le Pr Devouassoux. Un indicateur illustre la dynamique mise en place : avec près de 160 publications scientifiques dans des revues nationales et internationales, le réseau Crisalis représente actuellement 4,5 % des publications mondiales dans l’asthme sévère.
* F-Crin (French Clinical Research Infrastructure Network), porté par l’Inserm, renforce la compétitivité de la recherche clinique française à̀ l’international.
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