PAR LE Dr ANNE PRUDHOMME*
À CE JOUR, en France, 40 % des personnes ayant une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) sont des femmes, soit un sex-ratio de 0,6.
D’une façon générale, la progression du nombre de malades dans tous les pays industrialisés est plus importante chez les femmes. Aux États-Unis, par exemple, entre 1980 et 2000, le nombre de nouveaux cas a augmenté de 36 % dans la population féminine alors qu’il a baissé de 26 % chez les hommes. Ce constat doit être corrélé avec le comportement des femmes vis-à-vis du tabac. En France, la population de fumeurs réguliers était de 17 % chez la femme et de 72 % chez l’homme en 1953. Ces chiffres sont passés en 2007 à 25 % chez la femme, soit +47 %, et à 34 % chez l’homme, soit – 53 % !
La mortalité par BPCO au Canada atteint quasiment celle du cancer du sein (4 383 contre 5 060) avec une augmentation annuelle deux fois plus rapide. Dans tous les pays industrialisés, on constate une augmentation du taux de mortalité liée à la BPCO plus importante chez la femme. Ainsi, entre 1979 et 1999, le taux annuel brut de mortalité liée à la BPCO a augmenté de 21 % chez les hommes et de 78 % chez les femmes.
BPCO et femme : une entité sous-diagnostiquée ?
Lorsque des médecins généralistes sont interrogés sur des dossiers cliniques concernant des patients dyspnéiques, fumeurs, tousseurs chroniques, à symptômes identiques, le plus souvent ces praticiens posent un diagnostic de BPCO si le patient est un homme et d’asthme si c’est une femme.
Une femme de plus de 40 ans, qui fume, doit être dépistée ; a fortiori s’il existe une toux, une expectoration (même si elle est moins fréquente que chez l’homme) ou une dyspnée.
Une sensibilité accrue aux méfaits du tabac
De nombreuses études suggèrent que les femmes seraient plus sensibles aux méfaits du tabac. À tabagisme égal, l’obstruction bronchique est plus importante chez la femme que chez l’homme. Des travaux ont comparé l’impact du tabagisme chez des adolescents de 10 à 18 ans, dont l’évolution des poumons n’est pas terminée. Le fait de fumer plus de 5 cigarettes par jour freine davantage le développement pulmonaire des jeunes filles.
Mais le tabac est-il le seul responsable chez les femmes ? Si la majorité des BPCO sont dues au tabac, 20 % sont liés à des facteurs environnementaux et professionnels. Pour les femmes vivant dans les pays en voie de développement, les facteurs de risque de BPCO sont davantage liés à la pollution, comme l’exposition à la fumée et aux particules résultant de la combustion de bois ou de charbon. Une large étude réalisée en Chine a comparé, chez des femmes non fumeuses, le nombre de BPCO dans une zone urbaine et une zone pauvre en milieu agricole : le nombre de BPCO était de 2,7 % en zone urbaine et de 7,2 % en zone agricole (vie en milieu clos, avec une cuisine dégagent particules et fumées en excès, NO 2, SO 2, particules). Dans ces pays, certains secteurs professionnels sont plus à risque que d’autres. Par exemple, les femmes travaillant dans l’industrie du textile peuvent développer une BPCO même si elles ne fument pas.
De même, une utilisation de produits ménagers, tels des sprays et des détergents, favorise l’apparition d’un asthme. Il est possible que ces mêmes facteurs puissent être responsables de maladies obstructives non-réversibles.
On retrouve dans la littérature la notion d’un profil clinique plus sévère à fonction respiratoire identique : un âge plus jeune, un tabagisme moindre, une dyspnée majorée et un test de marche diminué confirment une sévérité plus importante des symptômes chez la femme.
Une étude brésilienne, dans laquelle une cohorte de patients BPCO oxygénodépendants a été suivie pendant 7 ans, a mis en évidence une mortalité accrue chez les femmes.
La BPCO est un facteur reconnu de l’altération de la qualité de vie et entraîne, au même titre que toute maladie chronique, une anxiété et des symptômes dépressifs. Dans une étude portant sur 116 patients, dont 62 femmes atteintes d’une BPCO stable, la prévalence globale des troubles psychiatriques à type de manifestations anxiodépressives atteint 49 %, contre 31 % dans la population générale. Les femmes présentaient plus souvent des manifestations psychiatriques ; en particulier, les troubles anxieux étaient 1,5 fois plus fréquents (56 % contre 35 %). Cette augmentation nette de prévalence se traduit, pour une BPCO de sévérité égale, par une tendance accrue pour la femme à la dévalorisation, à la perte de confiance en soi et à un degré d’anxiété supérieur, et cela indépendamment des covariables que sont l’âge, le degré d’intoxication tabagique, la sévérité et durée de la BPCO.
Les scores de qualité de vie étaient chez la femme nettement plus altérés et témoignaient d’une limitation plus marquée des activités physiques et de difficultés à maîtriser les symptômes de la maladie.
Un possible facteur hormonal aggravant.
Chez la souris, l’ovariectomie diminue de façon nette le nombre d’alvéoles pulmonaires et le traitement substitutif permet une régénération partielle.
Les femmes fumeuses ont un déclin du VEMS supérieur à celui des hommes au fil des années (30 ml/an au lieu de 9 ml/an) et ce processus s’accélère autour de la ménopause. Le rôle de la diminution du taux d’strogène est évoqué. Le traitement substitutif pourrait-il agir pour freiner l’évolution de la BPCO chez la femme ménopausée ? Il s’agit d’un axe de recherche.
Au total, la BPCO, « inconnue meurtrière », a, chez la femme, un phénotype clinique sensiblement différent de celui de l’homme, aboutissant a une maladie globalement plus sévère. Éviter le tabagisme à l’adolescence et travailler sur la motivation au sevrage sont des points de prévention essentiels dans ce contexte.
*Centre hospitalier de Tarbes, en collaboration avec les Prs Isabelle Tillie-Leblond et Chantal Raherison et les Drs Cécilia Nocent, Elisabeth Biron et Camille Taillé (Groupe Femme et BPCO)
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024