Entretien avec le Pr Frank Bellivier (1)
« LE TROUBLE bipolaire est une pathologie cyclique avec des états de décompensation maniaques et dépressifs, séparés par des intervalles libres. Et le retour à un fonctionnement normal est très difficile à obtenir. Nous avons des données de la littérature qui montrent que seulement 43 % des patients retrouvent leur fonctionnement antérieur deux ans après un épisode », explique, en préambule, le Pr Frank Bellivier, chef du service de psychiatrie du groupe hospitalier Saint-Louis-Lariboisière-Fernand Widal, affilié à la fondation Fondamental.
Ce retour à un fonctionnement normal prend en général du temps, beaucoup de patients ayant de grandes difficultés pour obtenir cette rémission. « Nous déployons beaucoup d’énergie pour la prise en charge des épisodes maniaques ou dépressifs. En termes d’enjeu pronostique, cela est certes important. Mais le véritable enjeu n’est pas là. Intuitivement, on pourrait penser que notre travail est terminé quand le patient est guéri de son épisode. En réalité, c’est à ce moment que tout commence vraiment », souligne le Pr Bellivier.
Globalement, le trouble bipolaire reste une pathologie du sujet jeune, le premier épisode survenant en général entre 15 et 20 ans. « Prenons l’exemple d’un jeune qui va faire son premier épisode à 17 ans. Il va pour ainsi dire "en prendre" pour six mois et redoubler sa première ou sa terminale. Ensuite, il va se remettre, avoir son bac, poursuivre ses études. Mais, si un deuxième ou troisième épisode survient lors de ces années cruciales sur le plan académique, ce jeune risque d’être sévèrement affecté dans son développement », explique le Pr Bellivier, en précisant que le véritable enjeu thérapeutique est le maintien de la normothymie. « Et le traitement à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif n’est pas forcément le même que celui qu’on utilise pour traiter les épisodes maniaques ou dépressifs. Il faut bien mettre le projecteur sur les stratégies prophylactiques et préventives ».
Arsenal thérapeutique.
Au cours des dernières années, l’arsenal thérapeutique s’est largement complexifié dans le domaine des troubles bipolaires. « On découvre notamment qu’il faut jouer sur beaucoup de facteurs pour obtenir le maintien de la normothymie. Un des premiers enjeux est la régularité dans la prise du traitement. Or, nos patients ne sont souvent pas très observants et nous devons les aider à s’astreindre à la prise d’un traitement régulateur de l’humeur », indique le Pr Bellivier.
Un autre enjeu est la prise en charge des comorbidités, qui sont souvent fréquentes et parfois lourdes dans le cas des troubles bipolaires. « Les patients peuvent notamment présenter des comorbidités anxieuses (70 % sur la vie entière) ou physiques (au moins 20 % d’obésité et 10 % de diabète, entre autres). On estime aussi qu’environ 50 % d’entre eux ont des comorbidités addictives, qui doivent toutes être prises en charge car elles constituent des facteurs de rechute importante », indique le Pr Bellivier, en ajoutant que cet arsenal thérapeutique devient de plus en plus complexe, multidisciplinaire et ciblé. « L’objectif est de mettre en œuvre un traitement à la carte avec une médecine qui, dans le domaine des troubles bipolaires, est de plus en plus personnalisée. Aucun patient ne ressemble à un autre et c’est en tenant compte des facteurs de rechute et des comorbidités, propres à chacun, que nous adaptons les traitements », ajoute-t-il.
Un autre facteur de complexité (mais aussi d’espoir) est le fait que, désormais, les stratégies thérapeutiques sont, ou non, médicamenteuses. « Nous avons d’abord à notre disposition des techniques de psycho-éducation, qui ont prouvé leur efficacité. Nous pouvons aussi utiliser des thérapies comportementales et cognitives sur les symptômes résiduels dépressifs ou des techniques de remédiation cognitive. Enfin, nous pouvons avoir recours à des thérapies des rythmes sociaux. On sait par exemple que les rythmes circadiens sont fréquemment désorganisés voire anarchiques chez les patients bipolaires et que ces techniques de re-synchronisation et de régulation des rythmes circadiens contribuent à la prévention des rechutes », indique le Pr Bellivier, en ajoutant que c’est l’empilement de ces différentes stratégies thérapeutiques, à la carte, qui va permettre de viser l’obtention d’une rémission durable dans le temps.
Cette prise en charge peut être mise en œuvre dans le cadre d’un partenariat entre des centres experts sur les troubles bipolaires, notamment ceux créés par la fondation FondaMental, avec des médecins généralistes et des psychiatres traitants. « Nous faisons en général du très bon travail en créant des liens fonctionnels entre des structures très spécialisées dans les troubles bipolaires et des praticiens qui assurent le suivi. Les centres experts doivent être sollicités pour des patients qui posent des problèmes particuliers, par exemple ceux qui ont une chimiorésistance ou qui sont difficiles à équilibrer », indique le Pr Bellivier.
(1) Chef du service de psychiatrie du groupe hospitalier Saint-Louis-Lariboisière-Fernand Widal, affilié à la fondation FondaMental.
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