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Dossier

Risques psychosociaux

Le mal-être des étudiants en médecine, dossier en souffrance

Par Amandine Le Blanc - Publié le 22/03/2021
Le mal-être des étudiants en médecine, dossier en souffrance


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Dépression, burn-out, jusqu’au risque suicidaire… Depuis des années, les études de santé souffrent d’un mal profond dont elles ne parviennent pas à guérir, et que de récents suicides ont cruellement rappelé. Pendant leur cursus, les carabins sont souvent soumis à des cadences infernales ou à un encadrement autoritaire. Malgré les nombreuses alertes des associations de jeunes, les engagements pris il y a trois ans par les pouvoirs publics pour prévenir les risques psychosociaux peinent à se concrétiser.

Fin février, Tristan L., interne en médecine générale de Reims, âgé de 27 ans, mettait fin à ses jours. Il serait le quatrième interne à se donner la mort en 2021. Après l’émotion suscitée par ce drame, la colère a rapidement pris le dessus chez les associations étudiantes. Car si une importante prise de conscience semblait s’opérer ces dernières années par les pouvoirs publics et au sein des universités, si les discours se voulaient volontaristes et sans équivoque pour faire bouger les lignes, leur traduction en actes concrets reste encore bien insuffisante. « L’heure n’est plus à la concertation mais bel et bien à l’action » ont fulminé les syndicats d’étudiants et d’internes, qui avaient encore alerté en novembre dernier sur la dégradation, avec la crise Covid, de la santé mentale des médecins en formation.

Des engagements pris il y a trois ans

Les constats sont partagés depuis plusieurs années. Dans le rapport qu’elle a remis il y a trois ans sur la qualité de vie des étudiants en santé, le Dr Donata Marra, psychiatre à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), soulignait déjà l’urgence absolue à agir : « Oui, il y a un problème de mal-être des étudiants en santé. Il est temps d’intervenir pour les étudiants, les soignants et les patients. » Commandé par les deux ministres de tutelle de l’époque, Agnès Buzyn et Frédérique Vidal, le rapport allait donner lieu à 15 engagements pour prévenir les risques psychosociaux des apprentis médecins, dont la création du Centre national d’appui à la qualité de vie des étudiants en santé (CNA), chargé de les mettre en œuvre. Mais depuis sa mise en place en 2019, l’instance, composée d’une vingtaine de membres (étudiants, enseignants et professionnels qualifiés), a connu bien des difficultés. « Nous avons attendu deux ans et demi pour que le CNA ait enfin des statuts juridiques et un budget », déplore Léo Sillion, vice-président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). « Aujourd’hui, les moyens mis à disposition du CNA sont un poste de secrétaire pour 400 000 étudiants et celui du Dr Marra (présidente du CNA) à mi-temps », détaille Adrien Haas-Jordache, représentant étudiant au sein du CNA pour l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). En presque deux ans d’existence, le CNA a pu mettre en place des formations pour les coordonnateurs de DES, qui rencontrent le succès et font le plein avec des inscriptions pour les trois prochains mois. Mais là encore, le manque de visibilité pour le Centre national d’appui est un frein. « La lettre de mission du CNA se termine dans deux mois et pour l’instant, nous n’avons pas l’assurance de sa continuité », explique Adrien Haas-Jordache.

Le CNA, une instance démunie

Pourtant, l’instance aussi pointe l’urgence de la situation. Dans une lettre adressée aux ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur, fin janvier, le CNA relevait qu’une proportion « alarmante » d’étudiants en santé se trouvait en difficulté, la pandémie ayant amplifié le phénomène. Il enjoignait aux ministères de s’attaquer « aux causes de ce mal-être », ajoutant que si le Covid-19 avait « des effets mortifères », il n’avait en rien « éliminé ni la maltraitance ni les harcèlements qui préexistaient ». « Il ne sera pas possible, hélas, de prévenir tous les suicides, mais il nous revient à tous d’agir sur l’ensemble des facteurs de risque et de réduire au maximum les causes qui y mènent », ajoutait le CNA.

Parmi la dizaine de propositions urgentes à concrétiser, l’instance recommandait le respect du temps de travail (48 heures hebdomadaires), la tolérance zéro vis-à-vis de la maltraitance et des harcèlements, la mise en place d’une commission nationale de vigilance à la qualité de vie des étudiants en santé (QVES) et de réévaluation des agréments de stages, et d’une autre, spécifique, pour les problématiques touchant les internes.

Pour toute réponse, les ministères se sont contentés de lister les mesures prises depuis 2019 pour la qualité de vie étudiante, comme la mise en place prochaine d’un numéro vert, sans donner suite aux demandes du CNA.

Des parents d’internes décédés se mobilisent

Les appels du Centre national d’appui et des étudiants avaient jusqu’à présent reçu peu d’échos, mais les défenseurs des médecins en formation ont reçu un soutien de poids : celui de parents d’internes défunts. Plusieurs se sont en effet mobilisés pour sensibiliser les autorités à la prévention et venir en aide aux étudiants en détresse. La Ligue pour la santé des étudiants et internes en médecine (Lipseim) a ainsi vu le jour en mai 2020, après le suicide d’une interne en épuisement professionnel. Il y a quelques semaines, les parents – tous deux généralistes à Tours – de Florian Rodaro, interne qui s’est donné la mort il y a un an à Reims, ont décidé de saisir la justice. Ils ont déposé plainte contre le chef de service de réa de l’hôpital de Troyes, où Florian était en stage, pour faire reconnaître que le décès de leur enfant était consécutif à la maltraitance de l’encadrement et à la charge de travail très élevée.

Le suicide de Tristan en février dernier a provoqué un électrochoc. Après leur coup de gueule, les associations d’étudiants ont été reçues en urgence par les ministères de tutelle. L’objectif est de s’appuyer sur les retours du « terrain pour venir concrètement en aide aux internes », relate Morgan Caillault, président de l’Isnar-IMG. « Sans aller jusqu’à des cas de harcèlement, si un interne est confronté à un défaut pédagogique fort lors d’un stage ambulatoire, par exemple, il doit pouvoir le signaler à une personne identifiée. Aujourd’hui, il est compliqué de savoir qui contacter pour changer de maître de stage et comment faire », explique-t-il. L’idée est donc que les internes puissent recourir à des « protocoles » et directives claires pour savoir comment agir en fonction des situations quand les textes réglementaires ne sont pas respectés.

Faire respecter la loi

Car les étudiants le soulignent, la première mesure est déjà de faire appliquer les dispositions réglementaires existantes. « Le respect du temps de travail ou du repos de garde est encore loin d’être acquis. C’est pourtant écrit noir sur blanc dans la loi. Nous avons des drames et ensuite, on constate : ah oui, il a travaillé 88 heures par semaine pendant 8 semaines… Comment peut-on en être là aujourd’hui ? », s’insurge Léo Sillion.

Parmi les avancées tangibles, le vice-président de l’Isni se réjouit qu’une vraie discussion soit lancée actuellement pour faciliter l’accès du droit au remords. À la fin du mois, la Conférence des doyens devrait aussi proposer un plan d’action (lire ci-dessus). Son président, le Pr Patrice Diot, affiche la volonté d’être plus opérationnel et d’intervenir plus rapidement. Des avancées pourraient aussi se faire sur le plan parlementaire. Plusieurs propositions de loi de députés sont à l’étude pour faire entrer les étudiants dans le directoire des hôpitaux, poursuivre pénalement les responsables de détresse psychologique chez les internes ou encore créer une cellule d’alerte dans les établissements hospitaliers sur les difficultés psychologiques et comportements suicidaires des étudiants.

La gestion des risques psychosociaux pendant les études de médecine ne se fera pas en un jour et passera par un changement de mentalités. Il est plus que temps.