La diminution des conduites suicidaires est surtout le fruit d’un dépistage et d’une reconnaissance plus précoce du trouble sous-jacent ; il faut néanmoins encore souvent un an pour que le diagnostic de schizophrénie soit évoqué, et presque huit pour celui du trouble bipolaire de l’humeur. D’autre part, un effort de formation sans précédent des intervenants de première ligne génère une sensibilisation accrue et un dépistage plus fréquent des comportements suicidaires dans certains groupes à risque : les adolescents scolarisés, la population carcérale, les endeuillés par suicide, le surmenage professionnel, etc.
Néanmoins, les conduites suicidaires sont des phénomènes éminemment polyfactoriels. Il est donc toujours difficile de définir des stratégies univoques au décours d’une tentative de suicide, c’est-à-dire quasiment en population générale. Ainsi, en France comme partout ailleurs, les tentatives de propositions de soins spécifiquement destinés aux suicidants ont toutes échoué à montrer leur efficacité sur la diminution des récidives suicidaires, voire sur la mortalité par suicide (1).
Force et faiblesse
Les essais positifs peuvent être distingués en deux familles : les dispositifs d’intervention intensive et les dispositifs de veille (surveillance ou case management en anglais).
Parmi les dispositifs d’intervention, citons :
- l’intervention infirmière au domicile du patient (2) : quatre séances (50 minutes par semaine) de thérapie psychodynamique centrées sur la résolution de problèmes interpersonnels ;
- une série d’intervention psychothérapeutique brève (IPB) (Walter et al, 2004 ???(3)) : 5 séances dans le premier mois suivant la TS.
Ces deux essais ont une grande force : l’efficacité qu’ils démontrent sur le nombre de sujets récidivistes à court et moyen terme ; mais aussi une faiblesse : la conjonction d’une lourdeur institutionnelle à la mise en place et au déploiement, et donc leur poids financier. Difficile d’en imaginer facilement et rapidement l’extension sur tout un territoire, dans une préoccupation de santé publique et d’organisation des soins.
Éthique de l’inquiétude
Les autres essais positifs se démarquent tous des dispositifs d’intervention classique, en proposant plutôt de « rester en contact », un dispositif de veille, qui n’envahit pas le quotidien du suicidant, qui s’inscrit en parallèle d’une éventuelle prise en charge quand elle est indiquée, mais qui propose des outils ou des recours fiables et efficaces en cas de crise suicidaire. Ces travaux de « case management » ont suscité au pionnier du sujet, Jérôme Motto, le néologisme de « connectedness », que l’on pourrait à peu près traduire par « le sentiment de rester en lien » (4). En France, nous évoquons les termes de « clinique du souci » ou « éthique de l’inquiétude ». Le maintien du contact avec le patient semble être d’autant plus efficace qu’il est actif, régulier, inscrit dans la durée et personnalisé et ne doit pas être laissé à la seule initiative du patient (5).
Citons :
- le recontact téléphonique des suicidants (6,7,8) ;
- la délivrance d’une « carte ressource » (« crisis card » en anglais) [9,10] ;
- l’envoi de courriers (« shortletters ») [4] ;
- l’envoi de cartes postales (« postcards ») [11,12,13,14].
Ces dispositifs se démarquent également des deux premiers par un coût financier beaucoup moins lourd et donc une généralisation sur un territoire donné, beaucoup plus aisée. Chacun de ces dispositifs de veille présente un intérêt plus net sur certaines catégories de suicidants, en ne considérant que des critères très simples comme le sexe et le nombre de tentatives antérieures. Ainsi, certains d’entre nous ont évoqué la possibilité de construire un arbre décisionnel de type de suivi, sorte d’algorithme de veille sur 6 mois (15) : une carte ressource, des appels téléphoniques et l’envoi de cartes postales si non joignables.
Aujourd’hui, le programme ALGOS (PHRC national mené sur 23 centres français et plus de 1 000 suicidants) [16] démontre l’efficacité de la combinaison de plusieurs systèmes de veille, et est un argument majeur à l’évolution de notre système de soin vers une coordination régionale de ces recontacts, lui-même vecteur et source probable d’améliorations continues des processus de « rester en lien ». Ainsi, le docteur Jean Yves Grall, directeur de l’ARS Nord – Pas de Calais, soutient et encourage un projet pilote régional baptisé aujourd’hui « VigilanS », qui sera lancé tout début 2015 et sera évalué en vie réelle pendant deux ans.
Service de psychiatrie adulte & pôle des urgences, hôpital Michel Fontan, CHRU Lille
(1) Reulbach U, et al. Suicide risk after a suicide attempt. Bmj 2008 ; 337: a2512
(2) Guthrie E, et al. Randomised controlled trial of brief psychological intervention after deliberate self poisoning. BMJ 2001 ;323(7305):135-8
(3) Despland JN, et al. A naturalistic study of the effectiveness of a 4 session format: The Brief Psychodynamic Investigation (BPI). Brief Treat Crisis Interv 2005 ;5(4):368–78
(4) Motto JA, et al. A randomized controlled trial of postcrisis suicide prevention. Psychiatric Services 2001 ;52:828-33
(5) Du Roscoat E, et al. Efficient interventions on suicide prevention : a literature review. Revue d’épidémiologie et de santé publique 2013 ;61(4):363-74
(6) Vaiva G, et al. Effect of telephone contact on further suicide attempts in patients discharged from an emergency department: randomised controlled study. BMJ 2006 ;332(7552):1241-5
(7) Bertolote JM. et al. Repetition of suicide attempts: data from emergency care settings in five culturally different low- and middle-income countries participating in the WHO SUPRE-MISS Study. Crisis 2010 ;31:194-201
(8) Cebria AI, et al. Effectiveness of a telephone management programme on patients discharged from an emergency department after a suicide attempt: controlled study in Spanish population. JAD 2013 ;147:269-76
(9) Evans J, et al. Crisis card following self-harm: 12-month follow-up of a randomised controlled trial. Br J Psychiatry 2005 ;187:186-7
(10) Evans MO, et al. Crisis telephone consultation for deliberate self-harm patients: effects on repetition. Br J Psychiatry 1999 ;175:23-7
(11) Carter GL, et al. Postcards from the EDge project: randomised controlled trial of an intervention using postcards to reduce repetition of hospital treated deliberate self poisoning. Bmj 2005 ;331(7520):805
(12) Carter GL, et al. Postcards from the EDge: 24-month outcomes of a randomised controlled trial for hospital-treated self-poisoning. Br J Psychiatry 2007 ;191:548-53.
(13) Beautrais AL, et al. A randomized controlled trial of a brief intervention to reduce repeat presentations to the emergency department for suicide attempt. Annals of Emergency Medicine 2008(4):51
(14) Hassanian-Moghaddam H. et al. Postcards in Persia: randomised controlled trial to reduce suicidal behaviours 12 months after hospital-treated self-poisoning. B J Psychiatry 2011 ;198:309-16
(15) Vaiva G, et al. ALGOS: the development of a randomized controlled trial testing a case management algorithm designed to reduce suicide risk among suicide attempters. BMC Psychiatry 2011 ;11:1
(16) Vaiva G, et al. ALGOS, un système qui veille après la tentative de suicide : essai randomisé à partir des urgences. Congrès Urgences 2013, Paris 2013.
En savoir plus :
Gruat G, et al. Vécu subjectif du recontact téléphonique après tentative de suicide. L’Encéphale 2010 ;36 Suppl 2:7-13
Bertolote JM, et al. Global suicide mortality rates - a light at the end of the tunnel? Crisis 2012;33(5):249-53
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