Prenons les centres médicopsychologiques (CMP) en charge de la psychiatrie du secteur adulte. On sait que les autorités de tutelles demandent aujourd’hui une diversification de l’offre, avec des praticiens ayant des pratiques complémentaires (psychanalytique, cognitivocomportementales, médicamenteuses). Le dogme étant qu’une unité de service public doit être capable de fournir tous les types de réponse.
« Mais, remarque Chantal M., qui a travaillé 20 ans dans un secteur, cette diversité s’est toujours créée de facto, en tout cas en région parisienne et dans toutes les grandes métropoles. Dans mon CMP, un praticien s’était spécialisé dans la prise en charge des alcooliques, un autre dans celle des toxicomanes, un troisième se consacrant davantage aux psychoses émergentes. Moi-même je me suis très vite intéressée aux troubles psychiques des femmes puis, plus spécifiquement, des femmes enceintes : à la demande de mes patientes, j’ai même créé une unité de périnatalité, qui n’avait théoriquement pas sa place dans ce CMP. D’ailleurs, je suis logiquement passée dans un CMP de pédopsychiatrie ».
Dans une grande agglomération, ces sous-spécialisations multiples sont connues et utilisées par les différents acteurs de la santé mentale. Et, quand un CMP ne couvre pas tel ou tel problème spécifique, il est possible de recourir à des entités spécialisées. Chantal M. reconnaît que ce schéma, où le patient est aiguillé en fonction de la nature de ses troubles, a connu son âge d’or avant les restrictions budgétaires, qui ont réduit la taille des équipes.
Est-ce que, dans ce système, le patient reste libre de son choix (en dehors, bien sûr, de l’obligation et de l’injonction thérapeutique, qui incombent au service public) ? Bien sûr que oui, estime François C., qui exerce dans un CMP de Marseille : « certains malades ne reviennent pas, et nous ne les revoyons jamais, ou beaucoup plus tard : on constate alors qu’ils ont choisi beaucoup d’autres options, ou de ne pas se traiter ».
Loin des grands centres
Situation différente pour Louis C., qui travaille dans un CMP de la très grande couronne parisienne, et pour Christine L., dont le CMP est situé dans le centre. L’offre de soin étant beaucoup moins diversifiée, les CMP sont condamnés à une approche beaucoup plus généraliste, ce qui n’interdit pas aux praticiens de développer des compétences particulières. Ainsi, Christine L. est reconnue pour ses compétences particulières dans le domaine de l’alcoolisme, beaucoup de patient lui étant adressés par des médecins de sa ville et de la région avoisinante. Elle a développé des contacts privilégiés avec deux généralistes impliqués dans la prise en charge de l’alcoolisme.
Mis à part cela, les contacts avec la médecine générale et même la psychiatrie libérale ne paraissent pas très développés dans ces villes moyennes. « Pour trop de libéraux, le secteur apparaît encore comme un monde à part, déplore Louis C., on y adresse que les cas jugés graves. Nos consultations ont majoritairement un recrutement direct, ou par le truchement du secteur psychosocial, sociologiquement biaisé. Cela, sans parler bien entendu de l’obligation et de l’injonction thérapeutique, qui incombe au secteur public ».
Même phénomène en pédopsychiatrie
« En pédopsychiatrie, on a un CMP par ville, avec une très forte volonté affichée de proximité. Pourtant, souligne Chantal M., en région parisienne, comme sans doute les autres grandes agglomérations, une spécialisation influencée par la pratique du directeur s’observe : dans telle ville, la file active des tout-petits est très importante, alors que dans la ville limitrophe, ce sont les adolescents qui dominent ».
Ces sous-spécialisations sont connues par les organismes psychosociaux de la région, qui adressent un fort pourcentage de patients, mais aussi par les libéraux qui s’impliquent dans la santé mentale, et alors semblent moins hésitants quand il s’agit de faire appel au CMP pédiatrique. « C’est surtout vrai quand le cas demande une réponse médicopsychosociale », précise Chantal M.
La psychaitrie libérale est diverse
Et les psychiatres libéraux ? Les quatre praticiens rencontrés n’aident pas à y voir clair tant les pratiques et les recrutements paraissent différents. Cependant, dans tous les cas, le recrutement par annuaire, général ou la caisse primaire d’assurance-maladie, est largement minoritaire, représentant de 10 à 20 % des patients.
Cela dit, qu’y a-t-il de commun entre Bernard C., psychanalyste en région parisienne depuis 30 ans, et Daniel R., pharmacothérapeute depuis 10 ans à Paris ? Pour le premier, il s’agit d’une clientèle stable (les premières consultations représentent moins de 10 %), constituée progressivement sur la compétence psychanalytique : les malades ont été adressés par d’autres psychiatres, par des structures de soin ne pratiquant pas la psychanalyse, et où le docteur Bernard C. a collaboré, par le bouche à oreilles entre patients. Exceptionnellement par un généraliste, rarement par des structures psychosociales.
Pour Daniel R., les choses sont différentes : les généralistes lui adressent plus du tiers des patients, d’autres psychiatres (libéraux ou hospitaliers) près du tiers, souvent pour un partage des tâches entre psychothérapeutes et prescripteur. Et d’autres spécialistes non-psychiatres, près de 10 %.
Marie L., qui exerce dans l’Est de la France, a un recrutement proche de celui de Daniel R., sauf que c’est sa pratique cognitivocomportementale qui lui amène beaucoup de patients, adressés par des généralistes, mais aussi par d’autres spécialistes.
« Plus de non-psychiatres que de psychiatres, souligne-t-elle. Cela représente au moins la moitié de ma patientèle, une moitié qui se renouvelle relativement vite, même si certains malades reviennent me voir après quelques mois voire quelques années d’interruption ». Marie L. avoue avoir assez peu de rapports avec le secteur, plus avec la médecine du travail et les services médicosociaux de plusieurs mairies. Enfin, près de la moitié de la patientèle est représentée par des malades plus chroniques, pris en charge par chimiothérapie et psychothérapie (« très peu de psychotiques », note Marie L.).
Dernier psychiatre libéral, Sylvain V., qui exerce dans le Nord, mais qui consacre une « très grande partie de son activité à la prise en charge des toxicomanes et des troubles alimentaires ». Analyste de formation, il participe à des réseaux qui alimentent la plus grosse partie de sa patientèle. « Dans ce cadre, je travaille beaucoup avec certains généralistes, des psychologues, des diététiciens, des travailleurs sociaux. J’ai également des rapports réguliers avec deux CMP, moins avec un autre… Je ne crois pas être un psy standard (existe-t-il ? NDLR) ».
Et les hospitaliers ?
Pour finir, nous avons interrogé deux professeurs de psychiatrie, l’un ayant une consultation privée, l’autre non. En dehors des malades vus dans le cadre du service, ces enseignants doivent recevoir beaucoup de cas jugés difficiles par des confrères hospitaliers ou libéraux « surtout quand ils semblent rentrer dans le cadre de recherches que nous avons effectuées, de travaux que nous avons publiés ». L’effet notoriété, en quelque sorte, parmi les confrères mais aussi chez certains patients (pour la consultation privée essentiellement). Autre facteur qui joue un rôle important, les anciens élèves, le tissu relationnel. Enfin, l’un des universitaires mentionne le rôle médiatique « qui génère pas mal d’appels, en psychiatrie comme dans d’autres disciplines ». Notons que les deux universitaires expriment la volonté de ne pas s’enfermer dans un rôle de consultant hyperspécialisé, ce qui n’est pas toujours simple, avouent-ils.
La rencontre
Existe-t-il un point commun entre tous ces praticiens ? Si oui, ce n’est pas, on l’a vu, au niveau du recrutement. En revanche, tous insistent sur le caractère fragile de la relation avec le patient : « il y a des cas où l’on doit passer la main, car nous constatons qu’une vraie relation constructive n’est pas possible dès l’un la première visite ».
« Certains patients ne reviennent plus à un moment donné, sans qu’on sache vraiment pourquoi, avoue un autre ; parfois on apprend qu’ils ont choisi un autre thérapeute, ou on a décidé d’interrompre une prise en charge suivie ; quelques fois, on les revoit ».
La psychiatrie est bien la rencontre entre deux individus, au-delà même des pathologies, des sous-spécialisations, des pratiques. Une rencontre qui, même quand elle est canalisée, à travers des pratiques et des filières, reste aléatoire, fragile, n’est-ce pas ce qui fait tout l’attrait de la psychiatrie ?
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