Prise en charge de la goutte

Des perspectives thérapeutiques

Publié le 21/04/2020

Si l’allopurinol reste le traitement hypouricémiant de première intention, associé à de faibles doses prophylactiques de colchicine, l’anakinra présente un intérêt dans le traitement des crises en cas de comorbidités cardiovasculaires ou rénales. L’identification de nouveaux facteurs de risque offre également de futures perspectives thérapeutiques…

Un diagnostic fondé sur l’identification des cristaux d’urate

Un diagnostic fondé sur l’identification des cristaux d’urate
Crédit photo : Phanie

Selon les recommandations actualisées de l’EULAR, le diagnostic de la goutte est fondé sur l’identification des cristaux d’urate (1), d’après l’analyse du liquide articulaire (ou d’un tophus) ou par les techniques d’imagerie. De haute spécificité (84 %), l’échographie recherche les signes de double contour et d’agrégats hyperéchogènes évocateurs de tophus. Avec 87 % de sensibilité et 84 % de spécificité, le scanner en double énergie permet de différencier les dépôts de cristaux (d’urate ou calciques), de les localiser, d’évaluer leurs volumes et conséquences ostéo-articulaires.

En l’absence de cristaux, les signes cliniques évocateurs sont : une crise inflammatoire mono-articulaire du pied (en particulier du gros orteil) ou de la cheville, un début brutal, une rougeur locale, le sexe masculin, un antécédent de crise identique, de maladie cardiovasculaire (CV), d’hypertension ou d’hyperuricémie (≥ 360 µmol/L – 60 mg/L).

L’allopurinol en première intention

Les traitements hypouricémiants (THU) abaissent efficacement l’uricémie en dessous de la cible (360 µmol/L ou 300 µmol/L en présence de tophus) chez plus de 95 % des patients, avec une posologie adaptée mensuellement (2). Une étude britannique a montré que la prise en charge des patients par des infirmières expertes dans l’éducation thérapeutique de la goutte est plus efficace que celle classiquement réalisée par les médecins généralistes. Seize mois après la fin de l’étude, les patients suivis par les infirmières, dont 84 % avaient reçu de l’allopurinol (460 mg/jour), avaient moins de crise de goutte, une meilleure connaissance de la maladie et observance thérapeutique (3). L’allopurinol doit rester le THU de première intention, comme recommandé par les experts européens et américains (1). Le fébuxostat aurait un risque de mortalité globale et CV plus élevé (4,5), d’où la préconisation des nouvelles recommandations américaines (ACR 2019) de ne pas l’utiliser en cas d’antécédent d’insuffisance cardiaque ou de maladies coronariennes.

L’augmentation des posologies d’allopurinol, pour abaisser durablement l’uricémie à la cible, impacte la survie des patients. Après 15 ans de suivi, une étude espagnole a montré que les goutteux à la cible avaient une mortalité réduite de moitié par rapport à ceux, insuffisamment compliants ou traités, ne l’ayant pas atteinte (6).

L’initiation d’un THU doit être associée à un traitement prophylactique des crises par colchicine faible dose (0,5 mg/jour) pendant au moins six mois. Deux études récentes viennent conforter la bonne tolérance de la colchicine au long cours et son effet bénéfique potentiel dans la prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Prescrite dans les 30 jours suivant un infarctus du myocarde, la colchicine (0,5 mg/jour) diminue de 74 % le risque d’AVC après 22,6 mois de suivi (7), comme le confirme également une méta-analyse montrant une réduction de 67 % des AVC (IC 95 % 0,15-0,70) [8]. En cas de nombreuses comorbidités, son utilisation prolongée permet donc de prévenir les crises de goutte et potentiellement les AVC.

Pour les patients insuffisants rénaux ou difficiles à traiter, l’anakinra, antagoniste du récepteur de l’IL-1, permet un bon contrôle de l’inflammation goutteuse dans 80 % des cas, comme démontré dans un essai le comparant pendant 5 jours (100 mg SC) aux traitements usuels (colchicine, AINS, prednisone). L’équivalence établie, l’anakinra a donc un intérêt en cas de crise chez des patients difficiles à traiter de par leurs comorbidités CV ou rénales. Une éventuelle neutropénie est à surveiller (9).

De nouveaux facteurs de risque

Le transporteur rénal et intestinal ABCG2 est un régulateur majeur de l’uricémie. Seul son polymorphisme rs2231142 est associé à un risque plus élevé de développer une goutte précoce avant 40 ans, parmi dix gènes impliqués dans la régulation de l’urate (10). Le transporteur ABCG2 excrète l’urate dans la lumière digestive et urinaire, et ce polymorphisme est responsable d’une diminution de fonction, ce qui augmente l’uricémie.

Outre l’hyperuricémie, des facteurs de risque non identifiés de la goutte sont impliqués dans la formation des cristaux et le déclenchement de l’inflammation. Parmi une cohorte de 675 patients, une équipe hollandaise a identifié chez six patients goutteux quatre variants rares de l’IL-37, capables de diminuer l’action de l’IL-37 (11). Membre de la famille des IL-1, l’IL-37 a des propriétés anti-inflammatoires et inhibe la signalisation de l’IL-1β, cytokine clé de l’inflammation goutteuse. Les patients porteurs de ces variants ont une goutte plus sévère avec un début précoce, plus de crises inflammatoires et davantage de comorbidités. In vivo, l’IL-37 recombinant diminue l’inflammation induite par les injections intra-articulaires de cristaux d’urate (11). Une IL-37 fusionnée avec le domaine Fc de l’IgG1 pourrait être développée, afin d’augmenter sa demi-vie et faciliter sa future utilisation chez l’homme.

Hôpital Lariboisière, centre Viggo Petersen, service de rhumatologie, Paris
(1) Richette P al. Ann Rheum Dis. 2020 Jan 1;79(1):31–8.
(2) Doherty M et al. The Lancet. 2018 Oct 20;392(10156):1403–12.
(3) Fuller A et al. Rheumatology. 2020 Mar 1;59(3):575–9.
(4) White WB et al. N Engl J Med. 2018 Mar 12;0(0):null.
(5) Su C-Y et al. Mayo Clin Proc. 2019 Jul 1;94(7):1147–57
(6) Pérez Ruiz F et al. RMD Open 2019; 5:e001015
(7) Tardif J-C et al. N Engl J Med. 2019 Dec 26;381(26):2497–505
(8) Masson W et al. J Stroke Cerebrovasc Dis. 2020 Mar 9;104756
(9) Janssen CA et al. Rheumatology (Oxford) 2019. 
(10) Zaidi F et al. Rheumatology. 2020 Jan 30;kez685.
(11) Klück V et al. Ann Rheum Dis. 2020 Apr 1;79(4):536–44.

Prs Hang Korng Ea et Frédéric Lioté

Source : lequotidiendumedecin.fr