« Dans la zone Asie-pacifique, la fréquence de la goutte s'accroît, probablement du fait de la conjonction de modifications de l'alimentation, avec notamment une augmentation de la consommation de bière, et d'un terrain génétique favorisant le développement d'une hyperuricémie », rapporte le Pr Thomas Bardin (hôpital Lariboisière, Paris).
À Hô-Chi-Minh-Ville, au Vietnam, un centre spécialisé dans la prise en charge de la goutte, le centre médical Viên Gùt, reçoit de 2000 à 4 000 nouveaux consultants par an. Il constitue une source de données unique dans un pays où la goutte est encore très souvent traitée par la médecine traditionnelle, qui a un effet probable sur l'inflammation mais aucun sur l'uricémie. La très grande majorité des primo-consultants au Viên Gùt sont ainsi vierges de traitement hypo-uricémiant.
« La première leçon apprise de cette expérience, depuis 2014, est que l'absence de traitement de l'hyperuricémie conduit à des gouttes très sévères, évolution un peu oubliée en France où la maladie est considérée comme bénigne, souligne le Pr Bardin. D'énormes tophus, que nous opérons assez souvent, des arthropathies uratiques très destructrices (voir photo) sont vus tous les jours dans le centre et beaucoup de patients ne peuvent y venir qu'en brancards ou en chaises roulantes. ».
« Depuis 2015, nous utilisons systématiquement les traitements hypo-uricémiants selon les recommandations de l'EULAR, en association avec la médecine traditionnelle, qui, jusqu'à cette date, était utilisée seule. Cela fait redécouvrir l'effet bénéfique d'une baisse ciblée de l'uricémie sur ces gouttes historiques et revivre ce que nos maîtres ont connu lors de l'apparition de ces médicaments en France, en donnant l'occasion d'analyser leur effet avec une méthodologie moderne. La disparition des crises aiguës, la fonte des tophus, l'amélioration des arthropathies uratiques conduisent à une amélioration spectaculaire de la fonction et de la qualité de vie. ».
Le centre permet ainsi une recherche clinique favorisée par un personnel maintenant bien formé et très motivé, et par la création, en 2016, d'un centre de recherche, sous contrat avec l'Université Paris Diderot depuis 2017, initiative qui a été très fortement soutenue par le Consul Général de France. « Nous disposons en particulier de clichés séquentiels permettant d'apprécier l'évolution des arthropathies uratiques sous traitement hypo-uricémiant. L'évolution est spectaculaire lorsque l'uricémie est maintenue en dessous de 300 micromoles par litre, même si la guérison totale n'est presque jamais observée », précise le Pr Bardin.
Le centre est bien équipé notamment en échographes et cela permet d'inclure le suivi échographique articulaire mais aussi l'échographie rénale dans la prise en charge des goutteux. « Nous avons ainsi redécouvert la fréquence des dépôts cristallins hyper échogènes dans la médullaire des gouttes tophacées. Ces dépôts, qui ont été confirmés par quelques scanners double énergie (DECT) [1] sont associés à des stigmates de néphropathie tubulo-interstitielle et à une insuffisance rénale, ce qui avait été décrit dans les années 1970-1980, mais quelque peu oublié, ou même nié depuis. Nous débutons une étude prospective sur l'effet de l'abaissement de l'uricémie, dont nous espérons qu'elle pourra dissoudre les dépôts et améliorer le rein », rapporte le Pr Bardin.
HLA B5801 et toxidermies graves
En Asie, la relative fréquence des réactions d'intolérance graves à l'allopurinol est liée au HLA B5801, dont les auteurs Taïwanais ont montré qu'il présentait l'oxyurinol aux cellules T cytotoxiques. « Le Vietnam semble aussi touché par ce problème, rapporte le Pr Bardin. Une étude menée en collaboration avec l'université de médecine et pharmacie de Ho Chi Minh ville a montré que 29 des 30 patients ayant fait une réaction sévère à l'allopurinol étaient porteurs de ce gène, alors que cette proportion n'est que de 4 à 5 % en cas de réaction bénigne. Cette étude souligne donc que les personnes originaires du Vietnam vivant en France sont à risque de développer ces complications graves et que l'allèle à risque devrait être recherché avant toute prescription d'allopurinol dans cette population ».
D'après un entretien avec le Pr Thomas Bardin, hôpital Lariboisière (Paris).
(1) Bardin T et al. Ann Rheum Dis. 2019 Mar;78(3):433-4.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024