UNE INCIDENCE ANORMALE et un peu en augmentation de fractures dites atypiques, du fait de leur localisation et de leur aspect a été observée ces dernières années. Ces fractures sont dites atypiques par leur localisation, sous trochantériennes ou diaphysaires, et par leur aspect radiologique : fracture non traumatique, trait de fracture transversal ou oblique (< 30°), fracture non comminutive, fracture complète d’une corticale à l’autre ou fissure sur la corticale externe. Ces spécificités font partie des critères majeurs retenus par le groupe de travail de l’ASBMR (American Society for Bone and Mineral Research) et sont considérés comme indispensables pour poser ce diagnostic.
D’autres critères, dits mineurs, ont également été notés. Sans être indispensables au diagnostic, leur présence apporte un argument de plus en faveur de la fracture atypique. Il s’agit de l’existence d’une réaction périostée sur la corticale externe, d’une augmentation de l’épaisseur corticale, prodromes à type de douleur dans l’aine ou dans la cuisse, d’une fracture bilatérale, d’un retard de consolidation, de comorbidités également présentes (carence en vitamine D, polyarthrite rhumatoïde, hypophosphatasie) et d’autres traitements associés comme les corticoïdes, les inhibiteurs de la pompe à protons…
La constatation de l’augmentation de l’incidence de ces fractures sous-trochantérienne coïncide avec celle de la prescription des bisphosphonates : «chez la plupart des patients qui présentent ce type de fracture, on retrouve une exposition prolongée aux bisphosphonates oraux (probablement pour des raisons d’ancienneté d’utilisation), précise le Pr Orcel. Comme le délai moyen de survenue de ces fractures est de 5 à 7 ans, voilà qui soulève la question de savoir pendant combien de temps les prescrire. Or pour l’instant, on manque d’éléments de réponses probants, mais une réflexion est menée ».
Moins de 1 pour 1 000 patients-année.
Les nombreuses études sur le sujet sont contradictoires et ne permettent pas de trancher formellement sur la responsabilité éventuelle des bisphosphonates dans la survenue de ces fractures atypiques. Il faut bien garder à l’esprit que de telles fractures restent rares et que le rapport efficacité/tolérances des bisphosphonates dans le traitement de l’ostéoporose reste très favorable. En traitant pendant cinq ans 1 000 femmes ménopausées ostéoporotiques à risque de fracture intermédiaire, on risque d’observer cinq fractures atypiques induites par le traitement, mais on évite simultanément 50 à 115 fractures vertébrales et 35 à 50 fractures non vertébrales dont une dizaine de fractures de hanche. La conclusion du groupe de travail de l’ASBMR est qu’il existe probablement une relation, mais sans que l’on puisse encore prouver la causalité ni expliquer les mécanismes par lesquels les bisphosphonates pourraient être en cause. C’est le principe du « peut-être responsable, mais pas coupable !».
«Comme ce type de fracture diaphysaire survient également chez des patients qui n’ont jamais reçu de bisphosphonates, mais qui ont naturellement un bas remodelage, se pose notamment la question de savoir si c’est parce que ces traitements diminuent le remodelage osseux, qu’ils provoquent également quelques fractures atypiques » poursuit le Pr Orcel. C’est l’une des pistes actuellement explorées. Pour autant, il n’a pas été retrouvé de corrélation étroite entre le degré d’inhibition du remodelage et le risque de fracture atypique. Par ailleurs, avec un traitement comme le dénosumab qui diminue plus profondément le remodelage que les bisphosphonates, ce genre d’événement n’a pas été rapporté jusqu’à présent. Cependant, il y a moins de recul avec ce dernier qu’avec les bisphosphonates et le nombre de patients à avoir bénéficié de sa prescription dans les pays où il est déjà commercialisé est encore faible.
Des signes d’appel à rechercher
Ces fractures atypiques sont précédées par l’apparition d’une fissure corticale externe qui, lorsqu’on n’y prend pas garde, peut se compléter et conduire à une fracture sous-trochantérienne ou diaphysaire. « Les deux tiers des patients concernés ont des syndromes prodromiques avec des douleurs liées à la fissure, souligne le Pr Orcel. S’il est bien sûr hors de question de faire des radiographies répétées à tous les patients sous bisphosphonates, il est en revanche très important de faire une radiographie, voire une scintigraphie osseuse ou une IRM, en cas de douleur à l’aine ou à la cuisse si le patient reçoit un bisphosphonate ». Dans la mesure où les fractures atypiques sont volontiers bilatérales, il est nécessaire de demander une radiographie des deux hanches, même s’il n’y a qu’un seul côté douloureux.
Au stade de fissure corticale, une fixation préventive par enclouage ou une mise en décharge avec surveillance (en l’absence de douleur importante) sont les mesures à discuter pour éviter la fracture. Au stade de fracture avérée, il n’y a pas d’autre choix que de recourir au traitement orthopédique classique. En accord avec les recommandations de l’ASBMR, le traitement par bisphosphonate doit alors être arrêté et la prise en charge de l’ostéoporose rediscutée. Avec l’amélioration des connaissances sur les mécanismes de survenues de telles fractures, ces recommandations seront amenées à évoluer dans les prochaines années…
D’après un entretien avec le Pr Philippe Orcel, hôpital Lariboisière, Paris.
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