Sexophobie

L'homophobie, la phobie que les sexologues ne prennent pas en charge

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Publié le 29/07/2016
[[asset:image:5866 {"mode":"full","align":"null","field_asset_image_copyright":["Laetitia Coryn (Sex Story, Editions Les Ar\u00e8nes)"]}]]


Choses vues et lues

Les phobies sexuelles, parce qu’elles touchent à la sphère de l’intimité, restent confinées à l’intime, à l’exception de l’une d’elles, qui défraie régulièrement l’actualité, l’homophobie. À la fois peur des homosexuels et peur de devenir, d’être ou de se reconnaître soi-même comme tel, cette phobie provoque des comportements agressifs ou répressifs, de la part de certaines personnes comme de certains États.

Les réseaux sociaux illustrent la prégnance homophobe en France, malgré les obligations légales qui leur imposent de supprimer dans un délai raisonnable les contenus interdits. Et en dépit de leurs règles propres d’utilisation qui, pour Twitter, interdisent la « conduite haineuse » : « Vous ne devez pas inciter à la violence sur la base des critères de race, d’orientation et d’identité sexuelle, ou d’appartenance religieuse », détaille le règlement du site.

Mais les messages de haine, notamment homophobes, prolifèrent sur les plateformes Facebook, YouTube et Twitter. Cette dernière vient d’être épinglée par l’Inter-LGBT (organisatrice de la Gay Pride) et l’association Élus locaux contre le sida pour son « inaction » après de « nombreux signalements d’injures et autres menaces de mort ».

Ces deux organisations rappellent que « l’homophobie tue »  et évoque l’attaque meurtrière perpétrée le 12 juin dans une boîte de nuit gay d’Orlando. Cette fusillade qui a fait 49 morts et 53 blessés a été revendiquée par l’État Islamique, qui punit de mort l’homosexualité. Mais la presse américaine a révélé que le tireur, Omar Mateen, marié deux fois et père de famille, connaissait le night-club pour s’y être rendu lui-même à une douzaine de reprises, non en repérage, mais pour y faire des rencontres.

Paroles de cliniciens

« Avec le cas Mateen, observe le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue et andrologue, directeur du centre d’andrologie à l’hôpital Cochin, on quitte le cadre de la simple névrose phobique pour entrer dans le champ psychotique. On y retrouve cette caractéristique de l’homophobie ordinaire qui met la personne aux prises avec le côté obscur de la force, dans une sorte de bras-de-fer intérieur. Monsieur tout le monde répète : « Ne me parlez pas de ça, je vais m’énerver », il menace régulièrement de « nettoyer tout ça », voire de « tirer dans le tas », comme on le voit souvent sur les réseaux sociaux. Dans le cas Mateen, il y a eu passage à l’acte. »

« Avec l’homophobie, nous avons souvent affaire à une ambivalence qui superpose l’objet phobogène et le sujet phobique, constate la psychologue clinicienne Joëlle Mignot, directrice du DIU de sexologie à Paris XIII-Bobigny. D’où un processus homophobe qui se met en place contre une attirance ressentie comme insupportable, c’est un processus primaire qui ne supporte pas la différence et qui peut en effet dégénérer chez des personnalités fragiles, parfois endoctrinées par des idéologies intégristes. Le sentiment de haine s’autoalimente alors, aggravé par des éléments paranoïaques. Dans ces cas extrêmes, la théatralisation peut dégénérer. On tue parce qu’on ne peut plus supporter la sexualité différente. »

« Ce que l’on retrouve dans tous les comportements et les discours homophobes, ordinaires ou extraordinaires, analyse le Dr Philippe Brenot, psychiatre, anthropologue et sexologue, directeur des enseignements de sexologie à Paris-Descartes, c’est la phobie de l’anormalité, une phobie dont j’ai constaté qu’elle sous-tend la plupart des phobies sexuelles. Chez les hommes, elle revêt souvent une forme androphobique, qui rend insupportable le fait d’être approché physiquement par un homme, avec une simple main posée sur l’épaule, alors que les femmes n’éprouvent, ni andro-, ni gynophobie. L’évitement atteste qu’il y a phobie. Cette peur de n’être pas normal vire à l’homophobie en l’absence d’éducation sexuelle car la sexualité, on ne le répétera jamais assez, est un comportement qui s’apprend et se construit socialement. »

Alors qu’elle est la phobie la plus communément évoquée, l’homophobie est aussi celle pour laquelle les sexologues ne sont jamais consultés. « Les homophobes, constate le Dr Mimoun, ne cherchent évidemment pas à se guérir, leur peur et leur dégoût sont pour eux les symptômes de leur normalité. Eux, ils ne sont pas malades ! »

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Illustrations tirées de « Sex Story », la première histoire de la sexualité en bande dessinée, aussi sérieuse que facétieuse, racontée par le Dr Philippe Brenot, responsable des enseignements de sexologie à Paris-Descartes, et illustrée par Laetitia Coryn (208 p., 24,90 €).


Christian Delahaye

Source : lequotidiendumedecin.fr