EN 2009, la prévalence de l’insuffisance chronique terminale traitée par dialyse ou greffe rénale dans 20 régions françaises (représentant 89 % de la population) était estimée à 1 094 par million d’habitants par le rapport annuel du Réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN), dont 547 pour l’hémodialyse (1). Bien que les recommandations actuelles de bonnes pratiques cliniques tendent à décourager l’utilisation de cathéters en hémodialyse, leur prévalence en dialyse ne cesse d’augmenter.
En dehors de patients insuffisants rénaux chroniques incidents pris en charge en dialyse dans le cadre de l’urgence et en attendant la création d’une fistule artério-veineuse, le recours aux cathéters est bien souvent le fait de patients très âgés, ou ayant une pathologie cardio-vasculaire, un diabète ou des complications vasculaires, chez lesquels la création d’une fistule a échoué ou bien n’est pas utilisable le moment venu. La moyenne d’âge des patients pris en charge en hémodialyse est voisine de 72 ans, les plus de 75 ans représentent près d’un quart des nouveaux patients, ce qui explique en grande partie qu’en France, dans les centres de dialyse, 15 à 18 % des patients dialysés sont traités sur cathéter tunnelisé au long cours.
Cette option reste d’un grand confort pour les patients, et beaucoup la préfèrent aux fistules à cause des problèmes de ponction. Un choix contre lequel le néphrologue doit se battre, l’idée étant de convertir, chaque fois que cela est possible, les patients porteurs de cathéters en patients avec fistules artério-veineuses. Ces dernières ont l’avantage de réduire considérablement le risque infectieux, d’assurer un fonctionnement très prolongé, de fournir des débits et des performances plus importantes et, au final, de garantir une qualité de dialyse supérieure avec beaucoup moins d’hospitalisations et de complications.
Pour prévenir les infections.
Les progrès réalisés en hémodialyse chez les patients porteurs de cathéters ces dernières années concernent la prévention des infections et des dysfonctionnements en ayant recours aux verrous liquidiens de cathéters. Ces verrous liquidiens, antithrombotiques et antimicrobiens, sont instillés en fin de séance de dialyse dans chacune des branches du cathéter, pour prévenir les dysfonctionnements ainsi que la pénétration et la prolifération de germes. L’usage de verrous à base d’antibiotiques doit être limité du fait de la crainte de favoriser l’émergence de bactéries résistantes.
Une étude contrôlée multicentrique brésilienne met l’accent sur l’efficacité d’une solution verrou à base de minocycline, utilisée en routine uniquement dans le traitement de l’acné, et d’EDTA (M-EDTA) en prévention des bactériémies liées au cathéter en hémodialyse (2). Randomisé et réalisé en ouvert, l’essai, qui porte sur des cathéters tunnellisés (27,8 %) ou non, a inclus au final 150 patients (92 cathéters ont été suivis dans le groupe M-EDTA et 95 dans le groupe héparine).
À 90 jours, le taux de bactériémies liées au cathéter était de 1,1 pour 1000 cathéter-jours dans le groupe M-EDTA contre 4,3 pour 1000 dans le groupe héparine, une différence significative (p = 0,005). Leur incidence était plus faible avec les cathéters non tunnellisés (0,7 pour 1000 cathéter-jours dans le groupe M-EDTA versus 4,1 dans le groupe héparine, p = 0,01). La différence entre M-EDTA et héparine n’était pas significative avec les cathéters tunnellisés. La survie exempte de bactériémie était plus élevée dans le groupe M-EDTA que dans le groupe héparine (p = 0,005). À 90 jours, elle était de, respectivement, 91,3 % et 69,3 %, cette différence reflétant celle obtenue avec des cathéters non tunnellisés.
Des résultats à interpréter avec prudence.
Il s’agit de l’étude la plus importante réalisée sur la solution verrou M-EDTA. Faut-il pour autant cautionner ses résultats et s’appliquent-ils à la situation en France ?
Plusieurs limitations méritent d’être soulignées. Il s’agit de cathéters incidents uniquement, dont plus de 70 % ne sont pas tunnellisés ; une proportion qui ne permet pas une analyse satisfaisante pour les cathéters tunnellisés. Les résultats positifs de la solution M-EDTA ne sont d’ailleurs pas observés avec les cathéters tunnellisés, probablement du fait de la trop petite taille de l’échantillon, signalent les auteurs. Même s’ils évoquent rapidement qu’une analyse post-hoc à 6 mois de suivi leur permet d’observer un bénéfice sur la survie exempte de bactériémies.
L’article présente des lacunes méthodologiques considérables. Notamment il ne précise pas les conditions de branchement des patients, ni les précautions d’asepsie prises en pratique. Les auteurs insistent sur les bonnes pratiques européennes, mais semblent oublier les précautions d’hygiène universelles (3). De plus, ils prévoient la possibilité, en cas de dysfonctionnement, de changer le cathéter sur guide métallique, une pratique formellement interdite en France, et d’autant plus choquante que, dans cette étude, plus de 30 % de changements sur guide ont été réalisés !
Les infections prises en compte sont limitées aux bactériémies, mais surtout leur nombre est très important. Même avec l’emploi de la M-EDTA, il est bien supérieur aux résultats des centres français obtenus sans verrou antibiotique, proches de 0,5 à 1 pour 1000 jours-patients (4). Les données brésiliennes révèlent finalement un taux d’infection élevé, et d’autant plus inquiétant qu’il est obtenu sur trois mois et qu’une endocardite a même été observée chez un patient.
Au final, cette étude reflète des habitudes américaines et confirme le risque infectieux majeur lié à de mauvaises pratiques dans l’utilisation des cathéters. La combinaison M-EDTA est certes efficace, mais ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. L’instillation d’un verrou antithrombotique et antibiotique permet finalement de masquer de mauvaises pratiques et une hygiène insuffisante dans la manipulation des cathéters de dialyse. En France, le respect des recommandations d’hygiène basiques et de bonnes pratiques d’utilisation des cathéters, l’éducation du personnel et des patients et la vérification du suivi des protocoles suffisent à réduire les infections. Les verrous antiseptiques et antibiotiques doivent être utilisés de façon ciblée afin de prévenir la formation de biofilm, ils ne doivent pas devenir le standard de protection des cathéters.
D’après un entretien avec le Pr Bernard Canaud, service néphrologie, dialyse et soins intensifs, hôpital Lapeyronie, Montpellier.
(1) Rapport annuel 2009 REIN. http://www.soc-nephrologie.org/REIN/documents.htm
(2) Campos RP, et coll. Minocycline-EDTA lock solution prevents catheter-related bacteremia in hemodialysis. J Am Soc Nephrol 2011 Oct;22(10):1939-45.
(3) Vanholder R, et coll. Diagnosis, prevention and treatment of haemodialysis catheter-related blood stream infections (CRBSI): a position statement of European Renal Best Practice (ERBP). NDT Plus 2010;3:234-46.
(4) Lemaire X, et al. Analysis of Risk Factors for Catheter-Related Bacteremia in 2000 Permanent Dual Catheters for Hemodialysis. Blood Purif 2009;28:21-8.
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