LA PREMIÈRE utilisation de la toxine botulique en neuro-urologie remonte à 1988, avec son injection dans le sphincter externe de l’urèthre pour traiter la dyssynergie vésicosphinctérienne chez des blessés médullaires. Mais c’est une dizaine d’années plus tard que cette technique connut un réel développement, suite aux premières injections intradétrusoriennes, rapportées par Brigitte Schurch, médecin rééducateur à Zurich, chez des patients blessés médullaires ayant une incontinence urinaire par hyperactivité détrusorienne neurogène. Après des essais de phase II, les données d’une étude de phase III publiée l’an dernier (1) ont conduit à l’autorisation de mise sur le marché de la toxine botulique A (Botox, Allergan) « dans le traitement, chez l’adulte, de l’hyperactivité détrusorienne neurologique conduisant à une incontinence urinaire non contrôlée par un traitement anticholinergique chez les patients blessés médullaires et chez ceux atteints de sclérose en plaques et utilisant l’autosondage comme mode mictionnel ».
Dans cette étude, plus de 275 patients ont été tirés au sort pour recevoir, versus placebo, de la toxine botulique A (Botox) 200 U ou 300 U (posologie utilisée dans les travaux historiques).
Les patients inclus étaient soit atteints d’une sclérose en plaques (SEP) avec un score EDSS ≤ 6,5, soit des blessés médullaires avec une lésion ≤ T1, et ils présentaient une incontinence urinaire secondaire à une hyperactivité détrusorienne. « L’AMM ne reconnaît qu’une indication fonctionnelle, alors que dans leurs recommandations, les experts du GENULF (groupe d’étude de neuro-urologie de langue française) soulignent également l’intérêt d’une indication organique, pour éviter les complications liées aux hautes pressions chez les sujets à risque », précise le Dr Xavier Gamé.
Réduction significative du nombre de fuites.
Les résultats montrent une réduction significative du nombre d’épisodes de fuites urinaires par semaine (critère principal d’évaluation), qui était de 33,5 en moyenne à l’inclusion : - 22 environ dans les groupes traités par Botox, - 10 dans le groupe placebo. Il n’y avait pas de différences entre les deux posologies, ce qui a conduit à donner l’AMM pour la posologie de 200 U. Le taux de patients secs à six semaines était de 61 % dans le groupe sclérose en plaques et de 33 % dans le groupe des blessés médullaires.
Parmi les critères secondaires, le fait de poursuivre ou non les anticholinergiques ne semblait pas avoir d’impact à court terme (suivi de trois mois).
Une augmentation de la capacité vésicale est également rapportée : capacité cystomanométrique maximale augmentée de 160 ml dans le groupe traité versus le groupe placebo. Et, donnée majeure en termes de prévention des complications, la pression maximale intravésicale lors de la contraction du détrusor est réduite de 42 cm d’eau chez les blessés médullaires.
La qualité de vie est également améliorée de façon significative chez les malades traités part rapport à ceux du groupe placebo.
Les patients ont été suivis jusqu’à la fin de l’effet, qui a duré en moyenne sept mois : 42 semaines en cas de SEP, 36 semaines chez les blessés médullaires, données comparables à celles rapportées dans les études précédentes.
L’analyse de la tolérance a mis en évidence un taux d’infections urinaires de 25 %, d’interprétation difficile du fait de l’absence de définition précise de l’infection urinaire, un taux de 17 % de rétention d’urines, ce qui souligne là encore l’importance de la connaissance préalable de l’autosondage. Quant au risque de faiblesse généralisée, particulièrement surveillé, il a été de 1,5 % chez les patients traités, similaire à celui rapporté dans le groupe placebo (1,8 %).
L’injection de toxine botulique A est contre-indiquée en cas d’allergie au produit ou de myasthénie et, de façon temporaire, en cas de prise d’aminosides dans les quinze jours, de grossesse, d’allaitement, de prise d’anticoagulants ou d’antiagrégants plaquettaires.
Geste simple, reconstitution délicate.
Techniquement, l’injection se fait dans la paroi vésicale en 30 points différents, en respectant le trigone, sous cystoscopie rigide ou sous fibroscopie souple selon la préférence de l’opérateur. Le geste est réalisable dans la très grande majorité des cas (95 %) sous anesthésie locale, en ambulatoire, l’AMM imposant une surveillance de trente minutes. La survenue d’une hématurie persistant quelques heures, mais de résolution spontanée, est fréquente.
« Le geste en lui-même est assez simple. En revanche, la reconstitution doit être très minutieuse ; notamment le flacon ne doit pas être agité. Les malades peuvent être retraités régulièrement, sans perte d’efficacité avec un recul de dix ans, selon les données colligées à ce jour. Pour un patient donné, la durée d’efficacité de la toxine botulique A semble constante. Il n’y a pas de recommandations en cas d’échec de la première injection ; il semble licite de faire un second essai, l’échec pouvant découler d’une mauvaise reconstitution », estime le Dr Xavier Gamé.
Perspectives.
D’autres études sont en cours, toujours dans l’hyperactivité vésicale neurogène, mais à faible dose chez le patient souffrant de SEP sans nécessité d’autosondage, et dans la maladie de Parkinson.
La toxine botulique A, qui agit non seulement sur l’innervation motrice, mais aussi sur l’afférence, est également évaluée dans d’autres indications, notamment dans l’incontinence par hyperactivité vésicale idiopathique. Les résultats d’une étude de phase III viennent d’être présentés lors du congrès de l’American Urological Association. Cinq cent cinquante-sept patients ayant une incontinence par hyperactivité vésicale idiopathique ont reçu soit 100 U de Botox, soit un placebo. Dans le groupe traité, le nombre d’épisodes de fuite quotidiens était diminué en moyenne de 60 % alors qu’il n’était diminué que de 20 % dans le groupe placebo. Dans le groupe traité, la réalisation du cathétérisme intermittent n’a été indiquée que dans moins de 6 % des cas.
La principale question porte sur le positionnement futur de cette technique par rapport à la neuromodulation et aux nouveaux médicaments oraux qui devraient élargir l’arsenal thérapeutique d’ici un à deux ans.
Enfin, la toxine botulique est également en cours de développement dans l’obstruction sous-vésicale par hypertrophie bénigne de la prostate ; les résultats d’une étude de phase IIb sont attendus avec impatience.
D’après un entretien avec le Dr Xavier Gamé, hôpital Rangueil, CHU, Toulouse.
Liens d’intérêt : Le Dr Xavier Gamé est orateur, consultant et investigateur dans des études cliniques pour les Laboratoires Allergan et Ipsen.
(1) Cruz F. et coll. Efficacy and Safety of Onabotulinumtoxin A in Patients with Urinary Incontinence Due to Neurogenic Detrusor Overactivity : A Randomised, Double-Blind, Placebo-Controlled Trial. Eur Urol 2011 Oct 60 (4): 742 –50.
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