LA MALADIE RENALE est classée en cinq stades de sévérité, définis par le débit de filtration glomérulaire (DFG) et non pas par la clairance de la créatinine qui, étant filtrée mais aussi sécrétée, n’en est que le reflet imparfait. Sa mesure par des marqueurs exogènes, méthodes de référence lourdes et coûteuses, n’est pas applicable à la routine clinique. En pratique courante, le DFG est estimé à partir de la créatininémie, à l’aide d’équations, dont la première historiquement a été la formule de Cockroft et Gault. « Elle nous a rendu de grands services, mais a montré ses limites et doit aujourd’hui être abandonnée. En effet, elle a été établie sur une petite population de sujets sains, en se fondant sur le dosage de la créatininémie par la technique de Jaffé non corrigée », précise le Pr Jean-Paul Cristol, avant de rappeler que c’est encore sur la base de cette équation que sont spécifiées les adaptations de posologie dans les notices de certains médicaments. Ce problème est souligné par la Haute Autorité de santé (HAS) dans son rapport d’évaluation technologique de décembre 2011 (disponible sur www.has.fr). Celui-ci souligne « qu’il serait souhaitable de revoir les RCP pour permettre d’adapter les posologies des médicaments en fonction du DFG estimé par l’équation CKD-EPI ».
D’autres équations ont été établies, notamment la MDRD (Modification of Diet in Renal Disease), aujourd’hui la plus utilisée et, en 2009, la CKD-EPI (Chronic Kidney Disease EPIdemiology collaboration). La MDRD a été établie chez des sujets ayant une insuffisance rénale de stade 3-4 (DFG moyen de 48 ml/min/1,73 m²) et est moins précise aux stades précoces de la maladie rénale. La CKD-EPI, qui s’est basée sur une population plus large (DFG moyen de 68 ml/min/1,73 m²), est plus performante chez les sujets ayant un DFG › 60 ml/min/1,73 m²). L’équation MDRD ne permet en effet pas de préciser le DFG lorsqu’il est supérieur à 60 ml/min/1,73 m² et permet juste de dire que « le patient n’est pas au stade 3-4 ». Avec l’équation CKD-EPI, il est possible d’avoir une évaluation plus précise du DFG jusqu’à la valeur de 90 ml/min/1,73 m², ce qui correspond à un stade 2.
Cela n’est pas sans conséquence en pratique, tant au niveau des études épidémiologiques qu’au niveau de la prévention en population : la formule MDRD tend à sous-estimer la fonction rénale aux stades précoces et à faire considérer comme un stade 3, qui justifie un avis spécialisé, certaines maladies rénales de stade 2. « Le risque est d’encombrer inutilement les filières de soins spécialisées en néphrologie », souligne le Pr Cristol.
MDRD, CKD-EPI et facteurs de correction.
Aucune de ces deux équations n’est parfaite. Elles sont validées à tous les âges, sauf chez les plus de 75 ans, en l’absence d’étude versus méthode de référence. Le débat sur les variations en fonction de l’origine ethnique – probablement liée à des différences dans la génération de la créatinine –, et l’application de facteurs de correction n’est pas clos. Cela pose en pratique un problème éthique pour les laboratoires qui ne peuvent pas intégrer de facteur de correction dans leurs logiciels de calcul, sous peine d’enfreindre la loi. En outre, les facteurs de 1,21 et 1,16, admis pour les sujets noirs, respectivement pour la MDRD et la CKD-EPI, ne sont validés que chez les Afro-américains. Comme le souligne l’équipe de A. Levey dans l’article publié par A. Earley (1), les formules CKD-EPI et MDRD ne sont validées qu’en Europe, aux Etats-Unis et en Australie, ce qui pose bien sûr des problèmes en pratique quotidienne du fait du flux migratoire et du métissage de la population. Ainsi, le facteur décrit pour les Afro-américains ne s’applique pas aux populations noires d’Afrique du Sud. De même, dans une population multiraciale asiatique comprenant des Chinois, des Malaisiens et des Indiens, les coefficients décrits pour les populations asiatiques n’améliorent pas la valeur prédictive des équations. La HAS précise, concernant la formule MDRD, que « le facteur de correction ethnique de l’équation n’est pas applicable en France » et que « le facteur correctif ethnique de l’équation CKD-EPI n’est pas validé en France, des facteurs correctifs spécifiques sont en cours de validation ».
« À l’heure actuelle, bien que l’équation CKD-EPI apparaisse un peu supérieure à la MDRD, il n’y a pas de formule idéale et il y a sans doute un compromis à trouver entre la MDRD, peut-être plus précise aux stades 3 et 4, et la CKD-EPI, plus performante pour le dépistage de la maladie rénale. Quelle que soit l’équation, sa précision dépend de la qualité analytique de la mesure de la créatininémie », rappelle le Pr Cristol. Toutes les recommandations (SN, SFBC, AFSSAPS et HAS) convergent pour exiger les techniques de dosage traçables à l’IDMS, et seules les méthodes enzymatiques permettent de satisfaire, voire de dépasser, les critères exigés dans les recommandations du NKEP de 2006 (2). Enfin, toutes les équations sont dépendantes de la génération de créatinine, dont les deux principales sources sont la masse musculaire et les apports carnés alimentaires. De ce fait, aucune d’entre elles n’est validée en cas de poids extrêmes et de variations de la masse musculaire, ainsi que chez les patients dénutris ou ayant une alimentation pauvre en protéines animales, ce qui est notamment le cas des végétariens.
« Parmi les moyens alternatifs proposés pour mesurer le DFG lorsque la créatinine est disqualifiée, Levey souligne les atouts de la cystacine C, marqueur de la filtration glomérulaire indépendant de la masse musculaire et de l’origine ethnique. Mais le recours à ce marqueur se heurte pour l’instant au problème de son coût et de la standardisation initiée en juillet 2010. Ce marqueur doit trouver sa place dans les situations où la créatinine est prise en défaut (pédiatrie, age extrême, altération de la masse musculaire…) et n’est pour l’instant préconisé ni par la HAS, ni par la Société française de néphrologie, ni par la Société de biologie clinique », conclut le Pr Cristol.
D’après un entretien avec le Pr Jean-Paul Cristol, CHU de Montpellier
(1) Earley A, et coll.Estimating Equations for Glomerular Filtration Rate in the Era of Creatinine Standardization: A Systematic Review. Annals of Internal Medicine 2012 Feb 6. [Epub ahead of print]
(2) Piéroni L, Delanaye P, Boutten A, Bargnoux AS, Rozet E, Delatour V, Carlier MC, Hanser AM, Cavalier E, Froissart M, Cristol JP; Société Française de Biologie Clinique. A multicentric evaluation of IDMS-traceable creatinine enzymatic assays. Clin Chim Acta. 2011 Nov 20;412(23-24):2070-5.
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