LA PRÉSENTATION des résultats de l’étude BEAM fin 2010 lors du congrès de la Société américaine de néphrologie, puis leur publication l’été dernier (1) ont bien sûr suscité beaucoup d’enthousiasme de la part de la communauté néphrologique bien démunie face à la dégradation de la fonction rénale observée chez les patients ayant une néphropathie diabétique. Cette étude de phase II a en effet montré que la bardoxolone, molécule lipidique synthétique appartenant à la nouvelle classe des modulateurs de l’inflammation à effet antioxydant (AIM, pour antioxidant inflammation modulator) est capable d’améliorer la fonction rénale sur une période d’au moins une année. « Des résultats allant à l’encontre du dogme des néphrologues qui estimaient qu’à partir du stade 3b, la fonction rénale ne pouvait que se dégrader, note le Pr Philippe Zaoui. Dans l’étude BEAM, qui a évalué chez 227 patients diabétiques ayant une insuffisance rénale chronique stade 3b-4, trois doses de bardoxolone (25 mg, 75 mg et 150 mg) comparativement au placebo, les auteurs rapportent une augmentation dose-dépendante du débit de filtration glomérulaire (DFG). Très bas à l’inclusion, de l’ordre de 30-32 ml/min, le DFG a atteint en moyenne 42-45 ml/min à la fin du traitement, soit une progression de 30 % sur un an ».
Les bénéfices – qui portaient non seulement sur la créatinine et la clairance estimée, mais également sur les autres marqueurs du déficit fonctionnel rénal – ont été observés dès le premier mois de traitement, se sont stabilisés vers la 12e semaine, puis se sont maintenus jusqu’au terme de l’étude. Donnée importante : comparativement à ceux du groupe placebo, les patients traités par la bardoxolone ont été significativement moins nombreux à avoir un déclin de plus de 25 % du DFG au cours de l’année.
Cette étude a ainsi confirmé l’impact positif de la bardoxolone sur le DFG, qui avait été initialement observé dans des études menées en cancérologie pour tester son efficacité antimétastatique. Elle laisse espérer la possibilité de retarder l’arrivée en dialyse des patients diabétiques, ce qui pourrait être particulièrement intéressant chez les diabétiques âgés ou dans un contexte de nécessité de dialyse en urgence. La bardoxolone semble également améliorer l’équilibre du diabète et entraîner une perte de poids, de l’ordre de 10 %, qui serait liée à un effet sur l’insulinorésistance.
Les principaux effets secondaires rapportés sont des spasmes, notamment des crampes au niveau des loges jambières, une hypomagnésémie (sans lien avec les crampes) et une augmentation transitoire des transaminases. Une élévation des chiffres tensionnels et de l’excrétion urinaire d’albumine a été rapportée, mais reste mal expliquée et fait l’objet d’une étude ancillaire. « Ce profil de tolérance n’est certes pas parfait, mais est tout à fait acceptable pour envisager un traitement à plus long terme et mettre en place un essai de phase III », poursuit le Pr Zaoui.
L’étude BEACON (Bardoxolone methyl evaluation in patients with chronic kidney disease and type 2 diabetes. NCT01351675), multicentrique internationale, doit inclure quelque 2000 patients diabétiques de type 2 ayant une insuffisance rénale chronique stade 4 (eDFG 15-30 ml/min). Ils seront randomisés en double aveugle pour recevoir, en plus du traitement habituel comportant ou non un bloqueur de l’angiotensine, de la bardoxolone 20 mg (avec une nouvelle forme galénique correspondant à la posologie de 75 mg utilisée dans l’étude BEAM) ou un placebo. Le critère principal d’évaluation est le délai de survenue d’une insuffisance rénale terminale ou d’un décès d’origine cardio-vasculaire. La durée prévue de l’étude est de 2 ans.
En France, treize centres participent à cet essai, chacun devant inclure une dizaine de patients. « Quasiment tous les centres sont activés, les inclusions devraient se faire sans difficulté car les patients sont très demandeurs ; elles devraient être terminées à l’été 2012. Les résultats de l’étude sont, eux, attendus pour la fin 2014 », précise le Pr Zaoui, qui coordonne l’étude en France.
Au-delà du diabétique.
« Cette voie de recherche est tout à fait passionnante, puisque, fait nouveau, il s’agit d’un traitement qui cible les mécanismes moléculaires et géniques de la réponse au stress oxydant. La bardoxolone, molécule lipidique dérivée de l’acide oléanolique présent dans l’huile d’olive, exerce son activité anti-inflammatoire via la translocation nucléaire d’un facteur de transcription, le Nrf2. Dans le diabète de type 2, comme dans l’hypertension artérielle ou la maladie rénale, ce facteur ne fonctionne plus. L’administration de bardoxolone donne un stimulus qui permet de relancer l’activité du Nrf2 (sous réserve qu’il soit fonctionnel, ce qui pourrait expliquer qu’il y ait des patients non répondeurs) et donc de déclencher toute une cascade de production d’enzymes antioxydantes. Les applications potentielles de cette molécule vont donc bien au-delà de la maladie rénale du diabétique, et pourraient concerner des insuffisances rénales chroniques d’autres origines, voire des greffons qui fonctionnent mal. Mais dans un premier temps, il importe de confirmer les promesses de la bardoxolone. C’est l’objectif de l’étude BEACON », conclut le Pr Zaoui.
D’après un entretien avec le Pr Philippe Zaoui, coordinateur pour la France de l’étude BEACON, CHU de Grenoble.
(1) Pergola PE, et al. Bardoxolone Methyl and Kidney Function in CKD with Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2011;365:327-36.
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