Fruit d’un énorme travail mené par Santé publique France à partir des données du Système national des données de santé de l’Assurance-maladie, de l’étude Esteban et d’études populationnelles, le dossier sur l’épidémiologie des maladies cardiovasculaires en France récemment publié donne une vision large de tout le spectre de ces maladies (1).
Maladies ischémiques : rattrapage féminin
Malgré les progrès majeurs réalisés au cours des dernières décennies en matière d’organisation de la prise en charge et de stratégies thérapeutiques, les maladies cardiovasculaires ischémiques (syndromes coronaires aigus et coronariens chroniques principalement) sont toujours très prévalentes dans notre pays : il y a eu 2,98 millions de cas, soit 5,6 % de la population adulte concernée, en 2022. Quelque 242 227 adultes ont cette année-là été hospitalisés pour ces motifs (soit une incidence de 452/100 000 personnes-années) et 31 391 décès leur ont été attribués (4,8 % des décès). L’âge moyen des personnes hospitalisées était de 69,3 ans, 29 % étaient des femmes.
Derrière la baisse globale de l’incidence de ces maladies, se cache une recrudescence chez les femmes de moins de 65 ans, largement expliquée par leur exposition aux facteurs de risque, le tabagisme en particulier.
Plus de la moitié des patients (55,9 %) ont bénéficié d’une revascularisation percutanée, 4,5 % d’un pontage. Le taux de décès intrahospitaliers a été de 3,6 %. Six mois après l’hospitalisation index, 22 % des patients avaient été admis dans un service de réhabilitation. Un an après l’hospitalisation index, 84,5 % des patients avaient reçu un traitement antiplaquettaire, 82,6 % une statine, 68,8 % un bêtabloquant et 67,7 % un traitement ciblant le système rénine-angiotensine-aldostérone. Toujours à ce terme, le taux de réhospitalisations était de 29,9 %, et celui de décès de toute cause de 9,3 %.
Insuffisance cardiaque et niveau de vie
Toujours en 2022, 1 376 692 cas d’insuffisance cardiaque ont été rapportés (soit une prévalence de 2,6 % de la population adulte), à l’origine de 181 178 hospitalisations. L’analyse détaillée des données met en évidence un lien entre le niveau socio-économique et le risque d’hospitalisation, 1,6 fois plus élevé dans les villes les plus pauvres.
Globalement, le taux de décès intrahospitalier est de 10,2 %, et celui de décès à un an de 32 %. Seul un patient sur cinq avait bénéficié d’une réhabilitation dans les six mois et un an après une hospitalisation, moins de la moitié recevait une association d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion, de bloqueurs de l’angiotensine-2 et de bêtabloquants. Un constat qui souligne la nécessité d’un suivi plus étroit des recommandations et de la prise en compte de l’environnement socio-économique de chaque patient.
Trop peu de patients traités de manière efficace
L’effet néfaste du statut socio-économique est également retrouvé pour les troubles du rythme, à type de tachycardies ventriculaires et arrêts cardiaques, qui ont globalement concerné près de 215 000 personnes, avec une surincidence (+ 40 %) dans les villes les plus défavorisées, comparativement aux moins défavorisées. Au total, en 2022, 2 740 000 patients ont été hospitalisés avec un trouble du rythme (plus de deux millions de FA/flutter) ou de la conduction (près d’un million). Et FA et flutter ont motivé plus de 90 000 hospitalisations.
Les disparités régionales concernent aussi les pathologies valvulaires, qui touchaient en France plus d’un million d’adultes en 2022, avec plus de 400 000 cas de régurgitations mitrales et 360 000 de sténoses aortiques. Ces valvulopathies ont été à l’origine de près de 52 000 hospitalisations, avec un taux de décès à un an de 13,7 %.
Cette même année, 122 422 adultes ont été hospitalisés pour un accident vasculaire cérébral, responsable de plus de 30 682 décès. Un patient sur quatre avait moins de 65 ans.
Un événement thromboembolique veineux — près de 8 fois sur 10 une embolie pulmonaire — a été à l’origine de quelque 62 055 hospitalisations en 2022. Un patient sur quatre avait un cancer actif ou un antécédent de cancer.
Le poids des facteurs de risque
Les facteurs de risque cardiovasculaires modifiables, tels que l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie-LDL, le diabète et l’obésité jouent un rôle clé dans la progression des maladies cardiovasculaires.
L’étude Esteban rapporte, pour l’année 2015, des prévalences élevées pour l’obésité (17,2 %), le diabète (7,4 %), l’HTA (30,6 %), ou l’hypercholestérolémie-LDL (23,3 %). Ces prévalences sont restées stables depuis 2006, sauf pour celle du diabète, qui a augmenté.
La maladie rénale chronique (stades 3 à 5, DFG < 60) concerne 1,5 % de la population adulte, et entre 6,5 % (mesure CKD-EPI) et 10 % (mesure EKFC) des sujets âgés de 65 à 74 ans.
La population est loin d’avoir conscience des méfaits ces facteurs de risque. Notamment, seuls 23 % des diabétiques et 45 % des hypertendus connaissent leur maladie, dont le contrôle est globalement faible (25 % pour l’HTA). Les risques spécifiques chez les femmes, liées à certaines pathologies gynécologiques (endométriose, syndrome des ovaires polykystiques) ou de la grossesse (HTA gravidique et ses complications, diabète gestationnel), qui contribuent significativement au risque cardiovasculaire à long terme, sont insuffisamment pris en compte.
La population n’est pas assez informée
Les facteurs de risque comportementaux restent très répandus en France. Près d’un tiers (31,8 %) des adultes fument, avec des taux qui demeurent plus élevés chez les hommes que chez les femmes (35,1 vs 28,8 %). Chaque année, quelque 250 800 hospitalisations et 17 000 décès, principalement par maladie ischémique et insuffisance cardiaque, sont attribuables au tabagisme. On estime que si la prévalence du tabagisme était comparable à celle des États-Unis ou du Royaume-Uni (20 %), 25 000 hospitalisations pourraient être évitées.
Plus de 70 % de la population ne suit pas les recommandations nutritionnelles de consommation de fruits et légumes (cinq portions par jour) et de sel (quatre personnes sur cinq consomment plus de 6 g/jour).De même, près de quatre adultes sur dix (38,7 %) ne respectent pas les recommandations en matière d’activité physique, et une sédentarité marquée concerne 40,8 % des adultes.
Près d’une personne sur cinq rapporte des troubles du sommeil, et 13 % souffrent d’insomnie chronique. Enfin, 12,5 % des adultes ont connu un épisode dépressif majeur, facteur de risque cardiovasculaire émergent, dans l’année.
Ainsi, malgré certaines tendances positives, comme la diminution du tabagisme et l’augmentation de l’activité physique chez les hommes, la situation reste préoccupante. Cela, d’autant plus que la réduction de l’écart entre les hommes et femmes en matière de comportements découle surtout de l’adoption par les femmes des attitudes à risque des hommes.
Les politiques de prévention doivent renforcer le dépistage, la sensibilisation et les interventions globales et ciblées pour freiner cette épidémie silencieuse et réduire le fardeau des maladies cardiovasculaires en France.
(1) Cohen A et al. Update on epidemiology of cardiovascular risk factors and diseases in France. Archives of cardiovascular disease, décembre 2024(117)12:655-7
Article suivant
L’obésité, une maladie complexe
Le visage des maladies cardiovasculaires en France
L’obésité, une maladie complexe
Vigie sur l’insuffisance tricuspide
Sport, nanoplastiques : des facteurs de risque cardiovasculaire émergents
Bénéfices de la fermeture de l’auricule gauche post-ablation
Colchicine, spironolactone : déceptions dans l’infarctus du myocarde
Les SMS des JeSFC 2025
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation