Chef du laboratoire de virologie et de l’unité des rickettsies du CHU de la Timone (Marseille), le Pr Didier Raoult estime que la France n’est pas prête à faire face à l’épidémie de nouvelle grippe. Il dénonce la faiblesse des moyens d’alerte, l’inexistence du pré-acheminement des patients aux urgences, ainsi que l’absence de moyens hospitaliers appropriés, affirmant que « l’infectiologie française reste sous-développée ». Chef du service des maladies infectieuses de La Pitié-Salpêtrière (Paris), le Pr François Bricaire tout en acceptant le droit à la critique, invite à faire des propositions constructives.
CLASSÉ par « Nature » parmi les dix premiers chercheurs français en termes de publications et de citations de ses travaux, le Pr Didier Raoult est depuis des années l’enfant terrible de l’infectiologie française. Le rapport qu’il avait remis en 2003 au Pr Jean-François Mattei, alors ministre de la Santé, dressait déjà un réquisitoire sans appel contre « le sous-développement financier » de sa spécialité, « le sous-développement des installations » et « une recherche éparpillée et mal évaluée » (« le Quotidien » du 17 juillet 2003). Aujourd’hui, le chercheur biologiste et chef de l’unité des rickettsies de la Timone monte à nouveau au créneau et conteste le discours officiel sur la qualité du plan Pandémie français. « Non, affirme-t-il, la France n’est pas prête. Les pouvoirs publics réagissent dans l’urgence avec les pompiers, on met en place des cellules de crise et on constitue des stocks de masque et de Tamiflu censés protéger l’ensemble de la population, alors qu’en réalité on reste dans un flou scientifique total : aucune preuve n’a été faite que les modèles FFP2 soient plus efficaces qu’un simple masque en papier et si les stocks de Tamiflu sont à niveau, il ne faudrait pas s’imaginer qu’ils constituent l’arme absolue, alors qu’on ignore si une souche résistante ne va pas prédominer dans le nouveau virus. »
L’insuffisance du plan français, poursuit le PU-PH marseillais, « est flagrante dès le stade de l’alerte, avec un retard chronique à la détection, comme on l’a vérifié en dernier lieu avec le chikungunya. Le plus souvent, on ne prend conscience de la catastrophe qu’en comptant les morts, les médecins restant plus prompts à interpréter leurs angoisses sociétales qu’à analyser scientifiquement des marqueurs syndromiques. »
Au plan hospitalier, « alors qu’on a mis au point des circuits de pré-acheminement pour les douleurs thoraciques ou les accidents vasculaires cérébraux, le système de tri pneumopathique n’existe toujours pas pour les maladies infectieuses. Les patients séjournent le plus souvent dans des chambres à deux lits et c’est ainsi que nous avons connu, il y a quelques mois, le cas d’une dame âgée hospitalisée faute de place en service orthopédique, où elle a contaminé 18 personnes. »
« Alors qu’on reste dans l’incertitude face à la nouvelle grippe, quant à sa transmissibilité, sa létalité et sa capacité de résistance aux antiviraux, notre plan reste d’une extrême fragilité et la préparation des médecins généralistes n’est pas de nature à rassurer : certains continuent de croire que l’administration de corticoïdes aux patients est bénéfique. Globalement, aucune étude d’organisation n’a été menée sur les dépenses qui sont engagées sans vérification, la cour des Comptes s’étant toujours abstenue de mener ses investigations dans ce secteur. »
« Je persiste à affirmer que la France reste un pays sous-développé en matière d’infectiologie et qu’elle est parmi les pays les moins préparés à un problème d’épidémie massive, avec une réflexion très insuffisante sur la prise en charge des pathologies pneumopathiques qui représentent non seulement le plus grand tueur mondial, mais le plus important raccourcisseur de vie ».
Des jours décisifs.
Chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), le Pr François Bricaire, coauteur du livre « Pandémie, la grande menace », reconnaît que le plan activé par les autorités françaises « présente des imperfections » et qu’ « il est de bonne pratique d’émettre des critiques, à condition qu’elles soient assorties de propositions constructives. Dans le contexte actuel, alors que la situation risque de devenir aiguë et que tout est en train de se jouer, nous avons mieux à faire que tirer sur une ambulance. Le plan français est reconnu internationalement pour être l’un des meilleurs dispositifs. Peut-être est-ce grâce à lui que notre bilan reste moins alarmant que celui de nos voisins. Mais il est vrai que, face à une pandémie, personne ne pourra jamais se déclarer parfaitement au point. »
Sur la question du pré-acheminement, le Pr Bricaire estime que « le système des centres 15-SAMU, qui oriente les patients vers les hôpitaux de référence fonctionne très bien. Pour ce qui est du nombre de lits, on pourra toujours citer en exemple la création d’un établissement de 200 places dédiées en Italie et considérer que les sept places d’isolement dont dispose un service comme le mien sont insuffisantes. Mais que se passera-t-il après les 200 premières hospitalisations en Italie ? Certes, les cinq services de référence de l’AP-HP et les vingt services de première ligne créés à travers la France ont des capacités limitées. Elles constituent une ressource primordiale pour la phase pré-épidémique dans laquelle nous sommes actuellement. »
Quoi qu’il en soit, « c’est dans cette phase pré-épidémique que nous allons pouvoir vérifier dans la réalité l’efficacité du plan, estime le Pr Raoult. Quand la France comptera un million de cas, il sera trop tard. »
« Je le rejoins sur ce point, opine le Pr Bricaire . Nous vivons des jours décisifs. »
› CHRISTIAN DELAHAYE
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