Renverser un pilier de la déontologie – l'interdiction générale de la publicité pour les médecins par tous procédés directs ou indirects – au profit d'une libre communication « non commerciale, loyale et honnête ». Dans une étude commandée par le Premier ministre, publiée ce jeudi, le Conseil d'État préconise une révision des règles applicables aux professionnels de santé en matière d'information et de publicité, ce qui pourrait changer radicalement la donne dans ce domaine sensible.
Aujourd'hui, dans ce cadre strict, les informations que peuvent communiquer les médecins au public sont limitées, dans le code de la santé publique, à leur plaque et leur ordonnancier qui peuvent comporter les noms, prénoms, numéro de téléphone, jours et heures de consultations, secteur d'exercice, diplômes, titres et qualifications reconnus, le tout avec discrétion… Tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale est également proscrite.
Jurisprudence et société numérique
Le Conseil d'État veut enrichir les informations susceptibles d'être communiquées au public (compétences, pratiques, parcours, etc.) pour plusieurs raisons.
Au niveau européen d'abord, la jurisprudence a évolué. Dans un arrêt de mai 2017, la Cour de justice (CJUE) a jugé qu'une prohibition « générale et absolue de toute publicité relative à des prestations de soins » dans une loi nationale (en l'occurrence belge) est contraire au droit de l'Union. « Or, nous avons les mêmes fragilités que la législation belge, explique le vice-président du Conseil d'État Bruno Lasserre. Nous ne pouvons pas rester inactifs, sous peine d'être condamnés par la Cour de justice. »
Mais surtout, les mœurs ont changé. Les règles de déontologie, adoptées pour la plupart en 1947 au nom de la confraternité, ne correspondent plus au besoin d'information « criant » des patients et aux attentes « légitimes » du public, qu'il s'agisse des pratiques et des expériences professionnelles mais aussi du coût des soins, souligne le Conseil d'État qui a auditionné une quarantaine de personnes. Ce besoin de transparence est nourri par la montée en puissance du numérique, des réseaux sociaux et de sites comme « Doctissimo » et par un « climat de méfiance à l’égard des informations diffusées par les pouvoirs publics ».
Oui aux diplômes, non aux avis des patients
Dans ce contexte, le Conseil d'État veut « changer de braquet », tout en estimant que « les professionnels de santé restent les plus à même d’informer sérieusement le public ».
La plus haute juridiction administrative plaide d'abord pour un droit de diffusion par les médecins (et les six autres professions de santé ayant un Ordre) d'informations sur leurs compétences et leurs pratiques professionnelles – spécialités et surspécialités admises par l'Ordre (au sein d'un « menu déroulant » fermé dans le cas d'un site), actes et activités pratiquées habituellement, formations obtenues dans le cadre du DPC, accréditation (pour les spécialités à risque) ou encore participation à des actions de santé publique ou à des structures de soins.
De même, le praticien pourrait informer sur sa biographie professionnelle (parcours, âge, lieu d’obtention du diplôme, langues étrangères parlées ou comprises, numéro d’inscription à l’Ordre), défend le Conseil d'État. L'accès au cabinet, notamment pour les personnes handicapées, les équipements disponibles, la géolocalisation des lieux, les horaires et la permanence des soins, voire un éventuel exercice mixte, pourront également être indiqués.
De surcroît, le Conseil d'État rappelle que trois informations économiques (déjà censées être affichées dans la salle d'attente) sont à communiquer « obligatoirement » dès la prise de rendez-vous : les tarifs des honoraires pour les consultations et visites à domicile et les cinq prestations les plus pratiquées ; les majorations facturées ; les modes de paiement acceptés et le rappel de l’obligation légale d’acceptation de la CMU-C.
En revanche, ne sont pas inclus dans cette liste informative publique les diplômes « non contrôlés et non reconnus », les formations invalidées scientifiquement, le nombre d’actes réalisés sur une période donnée ou encore les fameuses notations de patients sur la qualité des soins, stipule l'étude. Les médecins devront toujours s'abstenir de citer des témoignages de tiers célébrant leurs pratiques...
L'autorisation pure et simple de publicité n'est pas retenue non plus (payer pour se faire référencer dans des moteurs de recherche, passer des annonces payantes) car elle pourrait être perçue comme ouvrant la voie à des pratiques commerciales « aux conséquences néfastes pour la santé publique ».
Sites, brochures et affichage
Toutes ces informations nouvelles devront être communiquées sur support « adéquat ». « Charge aux Ordres professionnels de définir quel sera celui-ci, car la plaque en cuivre ne pourra pas tout contenir, avance Bruno Lasserre. Nous pensons à un support numérique, mais cela n'est pas exclusif. Cela peut être une brochure à l'accueil, un affichage au secrétariat… » Les pouvoirs publics (ministère, CNAM sur son site ameli) pourraient également reprendre ces informations via des liens hypertextes sur leurs sites, avec l'accord des professionnels concernés.
Les différents Ordres seront à la manœuvre pour refondre les règles du jeu. « Nous allons revoir les mentions autorisées aux médecins, pour les élargir ou pour les rétrécir », confie le Dr Jacques Lucas, vice-président de l'Ordre national des médecins.
Selon Bruno Lasserre, les bénéfices de cette petite révolution sont multiples : outre la meilleure information directe des patients, ce principe de libre communication pourrait décourager l'orientation vers les urgences et réduire les contentieux pour publicité devant l'Ordre des médecins (14 % de l'activité de la chambre disciplinaire nationale en 2016).
Enfin, cette diffusion (non commerciale) de nouvelles informations pourrait permettre de juguler la concurrence de professions non régulées et de pays frontaliers. Le Conseil d'État plébiscite à cet égard la coordination des législations nationales sur la communication des professions de santé, à la faveur d'un « livre vert » élaboré la Commission européenne.
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