LE PARADOXE. C’est ainsi qu’une association comme Médecins du monde qualifie la situation de la lutte contre le sida. Car à côté des avancées, notamment celles du plan national contre le VIH-sida et les IST 2010-2014, qui favorise de nouvelles approches de dépistage, en particulier le recours aux tests rapides du VIH pour les plus vulnérables, il y a les menaces, comme celle qui plane sur l’accès à l’Aide médicale d’État (AME). Cette mesure est l’une de celles que dénonce aussi le Conseil national du sida, qui pointe les contradictions actuelles des politiques publiques. « Le plan s’adresse aux populations vulnérables, dont les personnes qui se prostituent, mais pas seulement. Toutefois, un certain nombre de textes soumis aux législateurs nous semblent emblématiques de l’ambiance actuelle autour du VIH : l’atteinte à l’AME dans le cadre des discussions sur le projet de loi de finances 2001, la limitation des conditions d’accès à un titre de séjour pour soins proposée dans la loi sur l’immigration et l’intégration et la disposition de la loi sur la sécurité intérieure (LOPPSI) qui oblige les agresseurs de la force publique de se soumettre à un test VIH contre leur volonté », explique le président du CNS, le Pr Willy Rozenbaum. Ces dispositions renforcent, selon lui, l’idée de discrimination et limitent l’accès aux soins et à la prévention.
Population vulnérable.
Le CNS ne dénonce pas d’attaque récente mais plutôt les conséquences d’une précédente loi, la loi LOPPSi 1 de 2003, « qui a fait du racolage un déni et a profondément modifié la prostitution avec une conséquence majeure qui est d’augmenter la vulnérabilité de cette population ». Cette loi, selon le Pr Rozenbaum, a contribué « à reléguer les impératifs de santé au second plan » et a renforcé « l’exposition des personnes prostituées aux risques de transmission du VIH/sida et des IST ». Or rappelle le conseil, « dès lors que des moyens de prévention adéquats sont systématiquement utilisés, la prostitution ne constitue pas en elle-même un facteur de risque de transmission du VIH/sida et des IST, ni pour les personnes qui l’exercent, ni pour leurs clients ».
Selon le nouvel avis, intitulé « VIH et commerce du sexe, garantir l’accès universel à la prévention et aux soins », les modifications du cadre législatif qui avait été conçu pour œuvrer en faveur de la tranquillité publique et pour lutter contre le proxénétisme et la traite des êtres humains ont plutôt déstabilisé les prostitué(e)s « sans parvenir à protéger directement les victimes. » Le CNS conteste d’ailleurs les chiffres du ministère de l’Intérieur, qui comptabilise de 18 000 à 20 000 personnes exerçant la prostitution en France. Ces données « ne reflètent pas la réalité », indique l’avis qui s’appuie sur l’évaluation réalisée par d’autres pays européens comme l’Espagne ou l’Allemagne selon lesquelles le nombre de personnes exerçant une activité de prostitution sur leurs territoires respectifs se situerait plutôt aux environs de 400 000.
La prostitution, désormais « moins visible », s’est aussi diversifiée depuis une quinzaine d’années. Les lieux ont changé et les populations aussi. Aux côtés de la prostitution de rue, qui s’exerce également dans des camionnettes, existent d’autres formes plus discrètes dans les bars ou les salons de massage ou encore dans le cadre du domicile ou de l’hôtel après des rencontres sur Internet. Elle demeure en majorité féminine et aujourd’hui principalement (60 à 80 %) d’origine étrangère, essentiellement d’Europe de l’Est et d’Afrique subsaharienne et dans une moindre mesure d’Asie, une situation inverse de celle observée il y a 15 ans, où la prostitution restait majoritairement nationale. Et la prostitution masculine tend à se développer jusqu’à représenter 20 % de l’ensemble des prostitués.
Des liens complexes.
Selon le CNS, les liens entre migrations et prostitution sont complexes et il est difficile de mesurer la part de migrations consenties et la part de trafic relevant de la traite des êtres humains. « La circulation internationale des personnes prostituées ne prend pas nécessairement la forme dominante de la traite. Les politiques restrictives d’entrée, de séjour et de travail des étrangers en France sont susceptibles d’entraîner la clandestinité de la migration et la dépendance à l’égard d’un réseau, d’autant que les personnes migrantes arrivées en France disposent d’opportunités de travail très limitées », explique le CNS. Les femmes nouvellement arrivées « peuvent être contraintes de choisir entre le service domestique et le service sexuel », poursuit-il.
Le CNS s’alarme de l’augmentation des pratiques à risque, comme la hausse des rapports non protégés, de plus en plus acceptés en raison de la dépendance financière des prostitués, du relâchement global des pratiques de prévention chez les clients. Ce relâchement des pratiques de prévention « touche particulièrement les hommes en situation de prostitution occasionnelle », note l’avis. À cela s’ajoutent les violences subies, l’accès limité à l’information et aux soins, les difficultés à faire valoir leurs droits.
Face à cette situation, l’action des associations reste insuffisante. Depuis les années 1960, l’État s’est désengagé et apporte, en contrepartie, son concours financier aux associations. Or le champ associatif paraît divisé entre associations uniquement à vocation sociale et association à dominantes santé. En 2004, « les pouvoirs publics ont consacré 10 millions d’euros à l’action sociale en faveur de l’hébergement, d’insertion des personnes prostituées et la prévention de la prostitution contre environ 1,5 million d’euros aux actions de santé, principalement au titre de la lutte contre le VIH/sida/IST/hépatites », souligne le CNS, qui milite pour une approche globale associant des interventions à caractère sanitaire, social et culturel tel que le pratiquent certaines associations de santé communautaire.
Sur tout le territoire.
Le CNS recommande ainsi une approche globale qui réponde à l’ensemble des besoins des personnes prostituées. Il propose de « garantir, sur l’ensemble du territoire, et notamment aux populations difficilement accessibles ou isolées, une offre de services adaptés » : conseils, fourniture de matériel de prévention, accès au dépistage, au traitement post-exposition (sida), à la prise en charge des infections sexuellement transmissibles (IST/MST), aux soins de santé primaires, aux services de santé sexuelle, à la réduction des risques, à l’accompagnement social à l’interprétariat et à la médication culturelle. Il suggère de « soutenir plus particulièrement les programmes » s’adressant aux « escorts, masseuses, personnes prostituées en tournée, personnes migrantes, transgenres » et d’impliquer les prostitué(e)s dans la prévention en leur donnant une formation adaptée. Il demande aussi que soient reconsidérées les dispositions de la loi sur le racolage et qu’une conférence nationale réunissant, sous la responsabilité du ministère en charge de la santé, l’ensemble des acteurs concernés.
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