En1996, la psychomotricienne Marie Pezé créée la première consultation estampillée « Souffrance et travail » au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre. Aujourd’hui, elle en recense 97 en réseau*, sous diverses formes : cabinet libéral, association, ou intégrée dans les hôpitaux. Parmi les 32 centres de consultation de pathologie professionnelle (CCPP) des CHU, qui intègrent leurs données dans le réseau national de vigilance et prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) coordonné par l’agence de sécurité du travail (ANSES), une vingtaine ont en effet détaché une consultation spécifique pluridisciplinaire.
À l’origine de ces consultations, une demande croissante des salariés. Marie Pezé, qui a débuté dans un centre de chirurgie de la main, raconte l’évolution de sa patientèle. « Dans les années 1985, des femmes de ménages, des caissières ne guérissent pas de leur canal carpien. On se penche sur l’organisation du travail qui malmène le corps. Mais pas seulement. Dans les années 1990, des cadres de la Défense témoignent dans la consultation de pressions morales. On ne parle pas encore de harcèlement, mais on commence à constater des techniques de management pathogènes ».
Au CHU de Clermont-Ferrand, le Pr Alain Chamoux, cardiologue, relie plusieurs morts subites ou infarctus à du stress. Devenu médecin du travail, il déplore qu’on ne fasse pas assez cas de la prise en charge de la santé mentale, qui n’intègre les missions de médecine du travail qu’en 2002. Il décide alors de fonder la consultation souffrance et travail au sein du centre de pathologies professionnelles.
Aujourd’hui, selon les données du rapport d’activité 2012 du RNV3P, les troubles d’adaptation aux risques psychosociaux et troubles du comportement (anxiété, dépression, burn-out) représentent 18,6 % des problèmes de santé au travail rencontrés dans les CCPP, devant les maladies du système ostéoarticulaire et des muscles, avec une augmentation significative dans les secteurs de l’administration, des services, de l’éducation, de la santé et de l’action sociale. « Des tendances analogues peuvent être constatées dans de grandes enquêtes en France ou en Europe. Il est nécessaire d’agir sur les facteurs managériaux et organisationnels pour limiter les situations de travail à risque », commente le Pr Gérard Lasfargues, directeur général adjoint scientifique de l’ANSES.
Pluralité des approches
Le calibrage des consultations « souffrance et travail » est loin d’être rigide. Au CHU de Saint-Étienne, un professeur de santé au travail, Luc Fontana, un médecin légiste, le Pr Michel Debout, et un psychiatre, reçoivent longuement les patients. Ce sont 3 médecins du travail seniors qui tiennent le rôle à Tours, dans le service du Pr Lasfargues. À Clermont-Ferrand, le Pr Chamoux propose aux 200 salariés annuels une première consultation assurée par une infirmière clinicienne ou une psychologue, puis une seconde encadrée par un médecin du travail et un psychiatre.
En ville, le certificat de spécialisation (CES) de psychopathologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers, sous la responsabilité de Christophe Dejours et Marie Pezé garantit un niveau de formation.
Les professionnels ne voient pas d’un mauvais œil cette diversité des approches, et hôpital et ville jouent la complémentarité.
Ils se rejoignent aussi sur le constat du manque de moyens. Dans les CHU, les consultations, hors T2A, doivent compter sur les financements de la Caisse nationale de l’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ou des Missions d’intérêt général (MIGAC) mais sont parfois contingentées. « Les pouvoirs publics, qui ne financent pas la prévention primaire, ne sont pas à la hauteur des 3,5 points de PIB que représente la souffrance au travail », dénonce Marie Pezé.
*Liste consultable sur le site souffrance-et-travail.com
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