CONTRIBUTION - Les pratiques soignantes complémentaires PSC, ou encore, selon l’Académie de Médecine, Thérapies complémentaires sont souvent à tort appelées médecines parallèles ou alternatives ; elles ne sont pas à proprement parler des médecines. L’Académie rappelle qu’il n'y a qu'une seule médecine, « la médecine scientifique » et que « ces pratiques ne constituent pas une médecine à elles seules » (1). Dans la société française et à l’étranger, elles ont, malgré tout, une place importante. Elles se situent en général entre le bien-être et le soin, la définition d’une maladie étant chose complexe ce qui a été particulièrement conceptualisé par G Canguilhem dans son ouvrage séminal « le normal et le pathologique ».
La place des PSC s’accroît actuellement, favorisée par le changement de paradigme au XXIe siècle : même au temps de la Covid-19, les causes de décès sont essentiellement en rapport avec les maladies dites non communicables, en particulier les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies respiratoires. Au XXe siècle les maladies aiguës étaient prédominantes (infections en particulier bactériennes comme la tuberculose), maîtrisées le plus souvent par les antibiotiques. La personne malade était couchée, traitée par le clinicien (clin, racine grecque : lit). Au XXIe siècle la personne est le plus souvent malade du fait de la non maîtrise des facteurs de risque : tabac, alcool, nutrition, inactivité physique, sédentarité, sommeil, et aussi pollution atmosphérique et environnementale (2)…
Les maladies chroniques engendrées s’intègrent dans le cadre plus vaste des syndémies associant des maladies et des facteurs environnementaux (3) : ainsi la Covid-19, associée aux comorbidités, à l’âge et aux inégalités sociales de santé. La personne est souvent et longtemps peu ou pas symptomatique, elle est longtemps debout avant la survenue éventuelle des complications. Le clinicien reste soignant mais il n’est pas le seul : nombre d’autres professions (corps infirmier, diététicien, pharmacien, kinésithérapeute, psychologue etc.…) sont aussi soignantes.
Pendant nombre d’années, l’approche soignante peut être et devrait être essentiellement non médicamenteuse. Les médicaments sont à envisager dans un deuxième temps comme pour l’hypertension artérielle, le diabète… La personne, en maîtrisant ses comportements à risque, prend alors soin de son écologie interne… et de sa santé. Cette approche soignante, proche de la mal comprise et négligée prévention, est la médecine des comportements. (4)
Les deux catégories de PSC
Les PSC sont nombreuses. Leur efficacité n’est pas démontrée scientifiquement, hormis le cas particulier de l’hypnose ou ponctuellement : taïchi et prévention des chutes chez la personne âgée (5), … Elles peuvent être regroupées en deux catégories.
Le premier groupe est composé des pratiques, nombreuses, qui nécessitent une implication, une mobilisation de la personne : hypnose (technique pour laquelle l’importance des données scientifiques importantes la rapproche de la médecine officielle), méditation pleine conscience, sophrologie, relaxation, taïchi, Qi Gong, yoga… La liste n’est pas exhaustive. Il faut y ajouter celles comportant une nécessité de toucher : le toucher modifie la relation à l’autre. Il s’agit par exemple de l’ostéopathie. Il n’est pas surprenant que les kinésithérapeutes soient devenus très fréquemment aussi ostéopathes. Les PSC de cette première catégorie, hormis de rares dimensions sectaires, sont a priori bénéfiques, ne serait-ce que du fait que la personne malade est nécessairement mobilisée et se met en mouvement. Il ne s’agit pas d’une démonstration scientifique au sens de la médecine officielle mais la plausibilité de ce constat est grande.
Le deuxième groupe comporte les PSC prétendant être efficace en agissant de l’extérieur. Elles sont nombreuses comme, par exemple, l’homéopathie, les fleurs de Bach, le reiki, l’acupuncture (comportant cependant une dimension toucher), les antioxydants, les oligoéléments, les suppléments alimentaires… Les suppléments alimentaires ont une rationalité apparente, sauf qu’ils n’ont pas apporté de preuves de leur intérêt pour améliorer la santé des personnes ayant une alimentation équilibrée sans carences, comme avec le régime méditerranéen (6). Action extérieure, énorme marché de près de 2 milliards d’euros par an pour les compléments alimentaires en France !
Ces apports extérieurs ne mobilisent pas, a priori, la personne malade qui espère, sans devoir se mettre en mouvement, une amélioration ou une guérison. De plus, ce type de pratique risque de créer une dépendance extérieure peu favorable à une mobilisation de la personne pour maîtriser ses risques comportementaux. La phytothérapie réelle fait partie de la médecine officielle qui en a tiré nombre de ses produits actifs ; il en est de même pour l’aromathérapie. Mais elles doivent comporter une dimension pharmacologique, ce qui est rarement le cas. Le fait que certains de ces dits thérapeutes puissent avoir une excellente relation soignante avec la personne malade atténue la sévérité de l’analyse. Les PSC du deuxième groupe doivent, si elles souhaitent être reconnues, démontrer leur efficacité (ex : suppléments alimentaires) par des études scientifiques de bonne qualité.
Cette analyse ne doit pas occulter le fait que les PSC sont largement pratiquées en France et qu’elles rencontrent un réel succès : quatre Français sur dix auraient recours aux approches non conventionnelles et ils en sont apparemment satisfaits (8,9). Il est vain de l’ignorer. Il est préférable de se demander pourquoi. Les insuffisances de la relation soignant-soigné pourraient être une partie de la réponse.
Faut-il alors les enseigner ? Non : bien que scientifiquement non argumentées, elles seraient alors considérées comme partie intégrante de la Médecine officielle. Les erreurs commises par nombre d’universités françaises, avant de devoir se rétracter, comme au sujet de l’homéopathie, devraient servir de leçon. Que faire alors ? Informer sur leur existence, leur impact et leurs principes en les positionnant dans un cadre plus large restant scientifique. Former au sujet de telle ou telle pratique et non pas les enseigner.
Les trois pôles du trépied de l'EBM
La formation, en France, des futurs soignants, et en particulier des futurs médecins, est basée sur la médecine basée sur les faits ou EBM (Evidence Based Medicine). Un écueil important est que la réelle définition des concepteurs de l’EBM (Sackett) est méconnue. Elle comporte, certes, les données scientifiques collectives (qui ne sont pas intangibles : la demi vie de la vérité médicale est brève) !) mais pas uniquement. On omet très souvent l’expérience du soignant et les particularités individuelles de la personne malade qui font pourtant partie intégrante de la définition initiale de l’EBM (9). C’est avoir une vision tronquée (trop répandue !) de l’EBM que de se borner aux données collectives.
Avec la vision du trépied de l’EBM et les caractéristiques individuelles de la personne malade, une ouverture sur les PSC devient non seulement possible mais nécessaire. Les futurs soignants doivent être informés des principes sur lesquels se basent les PSC. Proposer ou accompagner la pratique des PSC peut se faire en les positionnant dans l’approche non médicamenteuse de la personne malade en particulier avec maladies chroniques. À ce niveau, la formation des futurs soignants (essentiellement mais non uniquement les médecins) repose sur l’entretien motivationnel, la compréhension de l’effet placebo qui n’est qu’une partie mais une partie seulement de la relation soignante.
En informant sur les différentes PSC du premier groupe, mobilisant la personne, il faut s’appuyer sur l’un des trois pôles du trépied EBM, c’est-à-dire les particularités individuelles de la personne malade : selon le contexte anthropologique, sa culture, son histoire personnelle, ses croyances, telle PSC conviendra ou non à la personne comme une aide à maîtriser tel ou tel facteur de risque : elle pourra préférer la méditation ou bien le yoga ou l’art-thérapie ou la médiation animale ou…
La PSC est à proposer comme une individualisation du soin et non en attente d’une démonstration scientifique d’efficacité qu’il pourrait être illusoire de rechercher en dehors de situations simples et évidentes (5). Cette démonstration n’est pas un impératif pour ce qui concerne les PSC qui mobilisent. Par contre, les PSC du deuxième groupe ne devraient pas faire l’objet de développement dans la formation soignante. Elles devraient auparavant prouver leur efficacité par des études scientifiques avant d’être intégrées dans la formation soignante. Pourquoi ? Elles sont extérieures à la personne, ne favorisant pas son engagement à améliorer son écologie interne ; de plus, elles sont onéreuses. Selon la culture et l’histoire des personnes, elles peuvent et sont souvent une béquille aidant à vivre et possiblement à aidant la personne à prendre davantage en charge sa propre santé.
Un enseignement de ce type ouvrant sur les PSC se fait actuellement à Bordeaux en DFASM1 (quatrième année de Médecine) dans le cadre plus large de la médecine des comportements. Cette approche médicale suppose une bonne compréhension de l’EBM et de son trépied ainsi qu’une relation soigné soignant qui s‘appuie sur l’entretien motivationnel, la demande, les désirs, les souhaits et les possibilités de la personne malade.

Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
(1) Académie Nationale de Médecine Thérapies complémentaires (acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi) : Leur place parmi les ressources de soins. Paris : Académie Nationale de Médecine. (2013)
(2) World health statistics 2014 - World Health Organization
(3) Swinburn BA et al The Global Syndemic of Obesity, Undernutrition, and Climate Change: The Lancet Commission report .Lancet 2019; 393: 791–846
(4) Couzigou P. Il faut promouvoir la médecine des comportements – La prescription verte. Presse Médicale 2018. 47 ; 603-605
(5) Wayne PM, Hausdorff JM, Lough M, et al Tai Chi training may reduce dual task gait variability, a potential mediator of fall risk, in healthy older adults: cross-sectional and randomized trial studies. Front. Hum. Neurosci. (2015) 9 : 332. doi: 10.3389/fnhum.2015.00332
(6) Pouchieu, C., Andreeva, V., Péneau, S., Kesse-Guyot, E., Lassale, C., Hercberg, S., & Touvier, M. (2013). Sociodemographic, lifestyle and dietary correlates of dietary supplement use in a large sample of French adults: Results from the NutriNet-Santé cohort study. British Journal of Nutrition, 110(8), 1480-1491.
(7) Les pratiques de soins non conventionnelles Médecines complémentaires / alternatives / naturelles Ministère des solidarités et de la santé 201
(8) Médecines alternatives : croire ou ne pas croire ? Statista enquête IPSOS 2018
(9) Sackett DL, Rosenberg WC, Gray JAM Evidence based medicine: what it is and what it isn't It's about integrating individual clinical expertise and the best external evidence. BMJ 1996 ; 312 : 71-72
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