Pour la troisième soirée d'affilée, Anna Alimova et Daria Mogusheva partent à la rencontre des consommateurs de drogue moscovites. Ces deux travailleuses sociales se sont posté près d'une pharmacie réputée pour vendre illégalement des opiacés, non loin de la station Ismaylovskaya.
Les policiers laissent faire, « moyennant quelques bakchichs », expliquent les activistes, mais passent de temps en temps pour interpeller un client histoire de « faire du chiffre ». Ce soir-là, un jeune homme est d'ailleurs arrêté mais heureusement pour lui, n'avait pas eu le temps de se procurer de la drogue.
Depuis 2009, les membres de la fondation Andrey Ryllov, distribuent seringues propres, compresses alcoolisées, tests de dépistage VIH et hépatite et tests de grossesse aux consommateurs de drogues moscovites. Au sein de la communauté moscovite, les lieux et les horaires de leurs passages sont désormais connus de tous.
Peur et stigmatisation
Une des premières femmes a se présenter a besoin de seringues, et de nouvelles ampoules de naltrexone : elle a utilisé la dernière pour sauver son amie d'une overdose le matin même. L'échange est vif : – « Voulez vous faire un test VIH ? » – « Inutile, je sais déjà que j'ai le sida. » – « Vous allez voir le médecin ? » – « je ne sais pas, j'irai peut être ».
« Les consommateurs de drogues ont peur des structures de soin et des mauvais traitements du personnel soignant », explique Anna, également ancienne consommatrice de drogue. Les services sont également difficiles d'accès et très cloisonnés : « Les services de désintoxication tentent de sevrer sans traiter les comorbidités, complète Daria Mogusheva. Seuls les patients vivant à Moscou et rassemblant certains documents peuvent y accéder. » Pour être traités, les patients souffrant de tuberculose doivent suivre une cure de désintoxication, parfois dans une clinique située dans une autre ville.
Certains usagers ont besoin d'être aidés dans leur démarche, comme ce jeune homme bouclé à la démarque hésitante. Anna Alimova s'isole dans une ruelle avec lui pour faire un test de dépistage, qui se révélera négatif. Il repart avec un autre test pour sa compagne. « Il doit me rappeler et me donner le résultat, précise Anna. Nous devons garder le contact et établir des statistiques pour le Fonds mondial qui finance le projet ». À chaque contact, l'usager donne un numéro de code composé de son année de naissance et des deux premières lettres de son nom.
Plus de la moitié des tests positifs
La proposition de dépistage du VIH est systématique, mais les usagers acceptent assez rarement, certains connaissant leur statut sérologique : sur les 2 376 contacts noués en 2014 seulement 36 dépistages ont été réalisés, dont 17 positifs. Dans le même temps, l'ONG a distribué plus de 70 000 seringues, 3 300 préservatifs et 2 000 doses de naloxone. Ils ont par ailleurs réalisé 20 tests de dépistage de l'hépatite dont 15 étaient positifs.
Autant d'actions qui ne correspondent pas à l'idée que le gouvernement se fait de la lutte contre le sida. « La réduction des risques est un gros mot pour nos hommes politiques qui estiment que l'on incite à la consommation de drogue », soupire Daria Mogusheva. Ce n'est qu'en avril dernier que le préservatif a figuré pour la première fois dans une campagne officielle de communication, aux côtés du traditionnel « restez fidèle à votre conjoint ou votre conjointe ».
D'après les statistiques officielles russes, l'épidémie d'infection par le VIH, déjà massive chez les consommateurs de drogues, l'est désormais chez les femmes, consommatrices de drogues, travailleuses du sexe ou simples partenaires d'hommes infectés. Le risque croissant de diffusion de l'épidémie dans la population générale, a motivé le gouvernement fédéral à intensifier sa politique de dépistage et de mise sous traitement, avec pour objectif la mise sous antirétroviraux (ART) de 60 % des malades.
Le prix du ténofovir divisé par 15
L'État entend notamment centraliser l'achat et la distribution des ART. Des écarts de prix importants avaient en effet été constatés d'un territoire à l'autre. Selon les données du mouvement « patient in control », une des raisons du coût élevé des traitements serait liée « au manque de génériques disponibles et donc de concurrence. La mise à disposition récemment d'un générique du ténofovir a suffi à diviser le prix de la molécule par 15 ».
« À l’heure actuelle, nous estimons que 30 % des besoins sont couverts, estime le Dr Anastasia Pokrovskaya du centre fédéral russe de recherche sur le sida, On nous a promis un nouveau système de calcul du budget nécessaire à l’achat de traitements antirétroviraux pour l’année à venir, basé sur les données épidémiologiques du pays », espère-t-elle.
« Je me suis rendu à la consultation le mois dernier, il y avait une très longue file d'attente, confie pour sa part une des consommatrices de drogue séropositive rencontrée avec la fondation Andrey Ryllov. Ils n'avaient qu'un seul des deux médicaments que l'on m'a prescrits. Ils m'ont conseillé d'aller m'en procurer dans une pharmacie, mais c'était trop cher. » Ce genre de témoignage est régulièrement posté sur le site Pereboi.ru chargé d'informer les patients sur les ruptures de stocks d'ART.
« Agents de l'étranger »
Les membres la fondation doivent composer sans le soutien du gouvernement, quand il ne s'agit pas d'une hostilité franche. Le 26 juin dernier, ils se sont vus attribuer l'étiquette d'« agent de l'étranger » par les autorités qui leur reproche entre autres leur participation à la campagne « support don't punish ! » et leur financement étranger. Cette étiquette devrait assez rapidement s'assortir « d'importantes amendes administratives » selon Ivan Varentsov, un des administrateurs de l'ONG qui ajoute qu'il leur est de plus interdit de percevoir des aides venant d'organisations « indésirables », comme l'open society foundations, du milliardaire Georges Soros.
D'autres difficultés attendent les travailleurs sociaux : en décembre 2017 le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme se retirera de la Fédération de Russie. Le Fond mondial représente un tiers du budget de 323 000 euros de l'association, en même temps que son principal fournisseur de seringues et de tests diagnostics via l'institut Open Health.
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