LE QUOTIDIEN : Epicentre, le centre de recherche de Médecins sans frontières (MSF), a mené une série d’enquêtes de séroprévalence dans plusieurs pays africains. Quels étaient les objectifs poursuivis ?
YAP BOUM : Nous voulions d’abord comprendre ce qui s’est passé en Afrique pendant cette pandémie. Une certaine hécatombe était annoncée mais n’a finalement pas été observée. Notre objectif était donc de mesurer si le nombre de cas détectés correspondait à la réalité des contaminations et d’identifier les populations les plus atteintes sur le plan clinique, en termes d’âge notamment. Ces informations sont essentielles pour analyser les situations locales et ajuster les opérations de MSF et des ministères de la Santé selon les risques et les ressources.
Les enquêtes ont été menées dans plusieurs pays africains, et notamment au Niger où est installé l’un des deux centres majeurs de recherche d’Epicentre, mais aussi au Cameroun et dans des pays comme la République démocratique du Congo (RDC) ou le Soudan, où MSF intervient aussi. Pour chaque étude, une population cible a été définie : les soignants au Niger, les donneurs de sang au Mali et au Kenya, les réfugiés au Soudan, la population d’Abidjan en Côte d’Ivoire ou un échantillon de la population nationale au Cameroun.
Quels sont les résultats de ces enquêtes ?
Le principal résultat est que le nombre de cas et de personnes exposées au Covid était, en fonction des pays, de 10 à 30 fois - voire 50 à certains endroits - supérieur aux données rapportées par les États. Cela signifie que la majeure partie des personnes exposées soit ne le savaient pas car elles étaient asymptomatiques, soit ont fait des formes légères et n’ont pas jugé nécessaire de se faire tester ou n’ont pu se rendre à l’hôpital.
Au Cameroun par exemple, l’étude menée en août 2021 a révélé une séroprévalence de 9,6 %, avec une variation de 4,5 à 17,6 % selon les régions. Si on l’extrapole à l’échelle du pays, cela représente 2,5 millions de personnes exposées, alors que seulement 100 000 personnes ont été détectées. On peut en conclure que la population n’a pas développé de formes de la maladie nécessitant une prise en charge médicale.
Ces écarts avec les données officielles vous ont-ils surpris ?
En effet, dans le cas du Niger par exemple, où l’enquête a été menée auprès des personnels de santé, la séroprévalence représentait de 50 à 80 % des effectifs, selon les sites étudiés. Cette amplitude nous a étonnés mais nous a permis de comprendre que la population en Afrique développait principalement des formes asymptomatiques ou paucisymptomatiques ne permettant pas une bonne détection des cas.
Ces enquêtes ont confirmé que les personnes qui avaient des formes graves de la maladie étaient principalement des personnes âgées de plus de 50 ans et les personnes souffrant de comorbidités, essentiellement de diabète et d’hypertension.
Quelles leçons tirer de ces résultats ?
La principale concerne les stratégies de vaccination. Un nombre important de personnes ont été exposées mais n’ont pas fait de formes sévères ni ne sont décédées de la maladie. L’enjeu est donc d’insister davantage sur les personnes vulnérables, de s’assurer que, où qu’elles se trouvent, dans une capitale ou un village, ces personnes accèdent à la vaccination pour être protégées. C’est la leçon majeure.
Cela nous dit également que chaque pays doit contextualiser sa réponse au Covid, s’appuyer sur des données solides pour choisir quels investissements sont nécessaires pour la vaccination, le dépistage, tout en assurant la continuité des services de soins. La prise en charge des autres pathologies doit se poursuivre. Dans bien des pays, le paludisme reste endémique. Il y a aussi la malnutrition, d’autres épidémies comme le choléra.
Les mesures doivent aussi être adaptées à la réalité des pays. Au Cameroun, il n’y a pas eu de véritable confinement et il n’y a pas eu non plus d’hécatombe en termes de décès. Dans ce contexte, ne pas confiner était la bonne solution. En Ouganda, la prévalence des comorbidités est bien plus élevée. Ne pas confiner aurait fait courir un risque plus important pour les plus vulnérables.
Une fois encore, chaque pays doit s’approprier ces données, connaître les profils de sa population pour décider des mesures les plus adaptées pour protéger les personnes les plus vulnérables.
Qu’en est-il de l’objectif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de vacciner 70 % de la population mondiale ?
Ces données permettent de prendre du recul sur le débat. Il revient désormais à chaque pays de déterminer si cet objectif est réaliste. Dans un pays comme le Niger, où la moitié de la population a moins de 15 ans, atteindre 70 % de personnes vaccinées n’est tout simplement pas réaliste. La problématique sera différente ailleurs, comme en Afrique du Sud, où les caractéristiques de la population sont sensiblement différentes. Mais si chaque pays doit contextualiser sa réponse, chacun doit aussi pouvoir mettre à disposition les vaccins pour les personnes vulnérables ou identifiées à risque.
La pandémie a-t-elle accéléré la structuration d’un réseau de surveillance et de soins sur le continent ?
Grandement. Il y aura un avant et un après Covid. Les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) notamment ont pris une ampleur majeure. Si je reviens sur le cas du Cameroun, 22 laboratoires sont désormais capables de réaliser des dépistages du Covid, contre un seul au démarrage de la pandémie. Cela illustre l’effet positif sur les systèmes de santé. Des hôpitaux ont été renforcés, des personnels formés.
Cet impact doit être pérennisé et, surtout, doit servir pour les autres pathologies, comme le choléra ou la méningite pour lesquelles, souvent, les laboratoires manquent pour caractériser les différentes souches en circulation. Sur les vaccins également, la volonté de développer une production locale va permettre d’installer les technologies sur place, alors que 98 % de ceux utilisés en Afrique sont importés. C’est peut-être le début d’une indépendance du continent après sa mise de côté pendant la première vague. C’est un effet non négligeable du Covid.
Quels sont les travaux à venir au sein d’Epicentre ?
À côté des enquêtes de séroprévalence, une étude importante sur l’évaluation des tests rapides antigéniques ou sérologiques, menée en 2020 au Cameroun et publiée en 2021 dans « The Lancet Infectious Diseases »*, a permis de changer la stratégie de dépistage du Covid dans le pays.
Nous sommes désormais dans la reproduction des enquêtes de séroprévalence qui nous ont fourni une photo à un moment précis. Le Cameroun vient d’accueillir une compétition internationale de football, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Il sera intéressant de mesurer l’impact d’un tel événement sur la circulation du virus et ajuster les stratégies vaccinales. Des questions persistent aussi autour de l’efficacité vaccinale en vie réelle en Afrique. Des enquêtes de mortalité rétrospectives sont à poursuivre afin de donner une idée du véritable impact de l’épidémie.
*Y. Boum et al., Lancet Infect Dis, 2021. doi: 10.1016/S1473-3099(21)00132-8
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