Depuis les ruines de Saint-Martin et Saint-Barthélemy

Des médecins nous racontent « leur » ouragan Irma

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Publié le 14/09/2017
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Crédit photo : AFP

Installé depuis 7 ans sur l'étroite bande de terre de Sandy Ground, le Dr Pierre Yves Merlet a perdu son cabinet de médecine générale dans la catastrophe.

« J'étais entre 4 murs de béton que j'ai vu trembler et vaciller, c'était brutal et sauvage, se souvient-il, certains de mes patients ont été emportés dans le lagon, et sont revenus à la nage. »

Sur les murs encore debout de son ancien lieu d'exercice, une ligne de boue est visible à 1 m 50 de hauteur. Le bâtiment devra être rasé et reconstruit. D'ici là, il a transformé sa voiture en lieu de consultation mobile. « Je fais de l'itinérance, avec des médicaments pillés dans des pharmacies… avec l'accord des pharmaciens », précise-t-il.

Ce mode d'exercice est dicté par la nécessité : « Les habitants restent chez eux, et ne sortent que pour chercher des vivres. » Contacté par « le Quotidien » dans la nuit de lundi à mardi, le Dr Merlet n'avait pas encore vu arriver les vivres et les médicaments promis par le gouvernement.

« Les gens font la queue par 30 °C »

« Il y a eu récemment une distribution de poulet et de haricots verts provenant d'un grossiste en surgelé qui a préféré tous donner plutôt que de voir les stocks se perdre faute d'électricité, raconte encore le médecin. Les militaires organisent des distributions mais leur lieu n'est pas bien connu car l'information circule très mal. Les gens font la queue sous le soleil pour les distributions de vivres et d'eau. Le risque infectieux est grand car il fait 30°. »

La tempête a fortement secoué l’hôpital Louis Constant Fleming, comme nous le confirme le Dr Ilyas Mafhoudi qui a quitté le service de psychiatrie pour la Guadeloupe peu de temps avant le passage d'Irma. « Quelques heures avant l'ouragan, nous n'avions pas la moindre idée de ce qu'allait être son impact, reconnait-il, on plaisantait presque entre nous sur les réseaux sociaux. Il y a maintenant un fort sentiment d'insécurité et de craintes. »

Plusieurs membres du service de psychiatrie y étaient confinés lors de la tempête, pour accompagner et protéger les patients des projections de verre. Deux types de réaction ont alors émergé : « Les patients très délirants et angoissés ont pris conscience de la situation et étaient plus coopératifs », explique le Dr Mafhoudi qui suit l'évolution de la situation depuis la Guadeloupe. Pour les patients déprimés, au contraire, ce genre de catastrophe exacerbe la force et la fréquence des attaques de panique. Des soignants des autres services ont également été pris en charge pour des crises de panique similaires. »

Solidarité à Saint Barthélemy

Sur l'Île de Saint Barthélemy, le Pr Pierre Teillac dont le cabinet a été épargné mais dont l'habitation a perdu une partie de son toit, commente : « C'est du jamais vu, même pour les vieux habitants de l’île, les dégâts sont énormes. » Cet urologue se veut toutefois optimiste : « L'hôpital est complètement opérationnel et réalimenté en eau, se réjouit-il, nous n'avons pas eu de blessé grave ou de mort. Par contre, les urgences ont été surchargées par les blessures légères. »

Un container de médicament est arrivé lundi à Saint Barthélemy. « Nous attendions surtout l'insuline et les vaccins contre le tétanos », précise le Pr Teillac qui félicite « l'esprit combatif incroyable » et « la solidarité » de la population. « L'électricité et l'eau courante devraient être remises en route plus rapidement que prévu », affirme-t-il, soulagé.

Un bilan humain encore incertain

La situation est plus critique à Saint Martin où un dernier bilan officiel fait état de 11 morts et 7 disparus à Saint Martin. « Il y en aura plus, prévient le Dr Merlet, la disparité ethnique et linguistique de l'île complique la localisation des personnes ».

Les îles du nord ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. Ce statut ouvre aux habitants des droits facilités aux remboursements par les assurances. La fédération française de l'assurance a par ailleurs promis d'abolir exceptionnellement le délai de 10 jours entre la reconnaissance du statut de catastrophe naturelle et le remboursement. Contacter les assurances ne figure pas encore sur la liste des préoccupations du Dr Marlet : « Je commence ma tournée à 5 heures du matin et je ne m’arrête pas avant 6 heures du soir, heure à laquelle je vais m'écrouler. Je n'ai pas le temps de penser à autre chose. De toute façon l'agence locale est ravagée. »

Quel avenir pour les habitants ?

« Le vrai point noir reste les destructions de maisons et de restaurants qui seront très longues à réparer », constate le Pr Teillac. Pour Le Dr Marlet tous les habitants ne sont pas logés à la même enseigne. « Les populations très défavorisées qui comptent sur l'aide de l'état pour survivre n'ont nulle part où aller, explique-t-il. Les plus nantis se posent la question de savoir s'ils vont rester. Beaucoup de gens se demandent où leurs enfants vont aller à l'école. » Sur 21 établissements scolaires, 18 sont hors d'usage. L'incertitude est d'autant plus grande que la période cyclonique de la Caraïbe ne prendra fin que dans 2 mois. D'ici là, tout peut encore arriver.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9601