Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ordonné samedi le rétablissement de l’alimentation d’un patient tétraplégique hospitalisé à Reims en état de « conscience minimale », après la saisine des parents opposés à la décision des médecins d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielles. Le cas a été révélé hier par l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) qui juge que cette ordonnance des juges est « importante », « d’abord parce qu’elle constitue un cas concret d’application de la loi Leonetti, et ensuite parce qu’elle contribue à clarifier la façon dont l’avis des différents membres de la famille doit être pris en compte ».
C’est le 10 avril dernier qu’au terme d’une procédure collégiale et après avoir consulté l’épouse du patient, l’équipe médicale de l’unité de soins palliatifs du CHU de Reims décide de suspendre la nutrition par sonde et de limiter l’hydratation artificielle pour un homme de 37 ans, en état « pauci-relationnel » à la suite à un accident de moto avec traumatisme crânien survenu en septembre 2008.
« La famille de Vincent Lambert s’est aperçue lors d’une visite à l’hôpital le 26 avril qu’il n’était plus alimenté ni hydraté alors qu’elle n’avait pas été informée de cette procédure qui le conduisait à la mort », a expliqué à l’avocat de la famille Jérôme Triomphe. Les parents en désaccord avec la décision décident de saisir le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Ils sont persuadés que leur fils ne veut pas mourir ce que confirme, selon eux la réaction de Vincent après la reprise de son alimentation. « Depuis qu’il est réalimenté, il leur a souri pour la première fois depuis deux ans », précise l’avocat.
Procédure collégiale
Dans son ordonnance du 11 mai, le juge des référés enjoint le CHU de Reims de rétablir les soins. Le juge ne remet pas en cause le « fond » de la décision prise par l’équipe médicale mais le fait qu’elle n’ait pas été discutée avec l’ensemble des membres de la famille.
Ce que reconnaît le Dr Éric Kariger, chef du service médecine palliative et soins du CHU de Reims qui suit le patient depuis 5 ans. En 2013 devant la modification du comportement de Vincent qui manifeste son opposition aux soins faisant suspecter un refus de vivre « même s’il n’est pas facile de donner du sens », explique au « Quotidien », le médecin.
Une telle modification est, selon lui, « inhabituelle chez ce type de patient qui, du point de vue des soins palliatifs, sont considérés comme non souffrants pour eux-mêmes ». Après avoir éliminé une cause médicale, l’équipe émet l’hypothèse que le malade est entrain de manifester « une certaine inacceptation de son état ». Le patient n’avait pas laissé de directives anticipées.
« Toutefois, Vincent, qui était infirmier psychiatrique avant son accident, avait beaucoup de mal à admettre les états végétatifs des patients et avait toujours exprimé que cette vie n’avait pas de sens, ce qu’a confirmé sa femme et un frère très proche de lui », poursuit le Dr Kariger. Une réflexion collégiale se met en place entre le mois février et le mois d’avril 2013 dans le respect de la loi Leonetti, (plusieurs médecins dont un médecin extérieur au service, référent éthique au CHU). « En accord avec sa femme qui l’accompagne quotidiennement depuis l’accident, alors que ses parents habitent très loin, nous avons collégialement décidé le 10 avril que le maintien des soins d’hydratation et d’alimentation constituait dans ce contexte une obstination déraisonnable », a-t-il indiqué.
Le Dr Kariger assume son erreur
Avant l’arrêt des soins, la mère du patient a été « prévenue qu’une procédure collégiale a été lancée qui pouvait aboutir à un arrêt d’alimentation pour laisser partir Vincent naturellement, bien sûr avec un accompagnement pour éviter qu’il ne meure de faim ou de soif », précise le Dr Kariger. La mère exprime alors clairement son opposition et demande d’en discuter avec le père de Vincent, lui-même médecin à la retraite.
L’alimentation est arrêtée avant que les deux parents ne soient revus par l’équipe soignante. « J’assume toute la responsabilité de cet arrêt avant que les parents aient été précisément informés. C’est une erreur, mais la décision était prise parce que la procédure avait été longue et que l’équipe pensait que c’était le bon moment. J’ai ensuite informé les autres membres de la famille », poursuit le praticien qui admet avoir eu une interprétation restrictive de la Loi Leonetti qu’il assure par ailleurs parfaitement connaître et enseigner. Une « erreur » qu’il met sur le compte d’un contexte familial particulier, conflictuel et difficile.
Depuis la décision du juge des référés, les soins ont été rétablis. « Je me range à la décision du juge. Nous sommes aujourd’hui aux côtés de Vincent et de tous les membres de sa famille qui le souhaitent. L’objectif aujourd’hui est de dépassionner les choses et de continuer humblement à faire au mieux notre travail », conclut le Dr Kariger. L’équipe attend toutefois les résultats de la plainte déposée par la famille pour assassinat et non assistance à personne en danger, une procédure actuellement au stade de l’instruction.
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