Dossier spécial

Le risque cardiovasculaire revu en soins primaires

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Publié le 25/10/2021
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Alors qu’en matière de risque cardiovasculaire, les généralistes assurent l’essentiel du suivi et des prescriptions en prévention primaire, de futures recommandations dédiées à la médecine de premier recours pourraient bousculer les pratiques.

Crédit photo : GARO/ PHANIE

Depuis quelques mois, la Haute Autorité de la santé (HAS) planche avec le Collège de la médecine générale et diverses sociétés savantes sur une recommandation qui pourrait revisiter en profondeur l’évaluation et la prise en charge du risque cardiovasculaire (CV) global en médecine de premier recours.

Alors que prévaut actuellement une approche en silo, facteur de risque par facteur de risque, l’idée est de « prendre en compte la globalité du patient et d’analyser avec lui l’ensemble de ses risques », résume le Dr Pierre Gabach, adjoint à la direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité de soins à la HAS. Avec, à la clé, « un véritable changement de paradigme », anticipe le Pr Clarisse Dibao-Dina, qui préside le groupe de travail en charge du projet. Même si le chantier est en cours et ne devrait pas aboutir avant fin 2022, la généraliste d’Amboise a dressé en juin, lors du congrès du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), le tableau d’une recommandation plutôt iconoclaste.

Prendre en compte la globalité du patient et analyser avec lui l’ensemble de ses facteurs de risques - Dr Pierre Gabach (HAS)

Avec cette nouvelle feuille de route, « on ne parlera plus de prendre en charge l’HTA d’un patient d’un côté, les dyslipidémies ou le tabagisme de l’autre, indique la généraliste, car le but est vraiment d’avoir un regard global sur ce risque cardiovasculaire ».

Dans cette optique, la recommandation de la HAS se propose notamment « d’évaluer la pertinence de l’utilisation d’un outil d’évaluation du risque cardiovasculaire en prévention primaire ».

Décision médicale partagée

Plusieurs outils d’évaluation existent déjà, à l’instar du SCORE européen, récemment actualisé, mais ces tables ne prennent pas en compte tous les facteurs de risque éventuellement pertinents, tels que les antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire ou le type d’obésité, qui pèsent pourtant dans la balance. D’où la réflexion en cours.

La démarche pourrait aussi amener à interroger la notion de seuil. Alors qu’actuellement, la stratégie thérapeutique repose sur des valeurs seuils de pression artérielle pour l’HTA, d’HbA1c pour le diabète, de LDL-C pour les dyslipidémies, etc., « le but est de changer cette approche et de passer à un seuil non pas arbitraire mais choisi par le patient, ce qui implique une décision médicale partagée et tout ce que cela nécessite d’information et de consentement éclairé », explique le Pr Clarisse Dibao-Dina.

Passer d'un seuil arbitraire à un seuil choisi avec le patient - Pr Clarisse Dibao-Dina

Certains pays ont déjà franchi le pas, à l’instar du Canada où « même la prescription de statines fait l’objet d’une recommandation médicale partagée », explique le Dr Gabach.

Repositionner les thérapeutiques non médicamenteuses

La notion même de traitement par organe ou par facteur de risque individuel pourrait aussi être malmenée. « On ne parlera plus de traitement anti-hypertenseur pour un patient hypertendu ou de traitement anticholestérolémiant pour un patient dyslipidémique », poursuit Clarisse Dibao-Dina, qui défend plutôt « une approche centrée patient » dans laquelle le traitement prescrit ne serait plus forcément ciblé sur un facteur de risque précis. « Nous avons déjà des preuves dans la littérature de l’intérêt de cette approche, souligne la généraliste, puisqu’un IEC peut diminuer le risque cardiovasculaire quel que soit le niveau de pression artérielle du patient. De même pour les statines (qui peuvent être efficaces) que l’on soit ou non considéré comme dyslipidémique ».

Avec ces recommandations, « nous souhaitons aussi repositionner les thérapeutiques non médicamenteuses », ajoute le Dr Gabach.

Reste à savoir si cette vision plutôt novatrice portée par la médecine générale arrivera à faire consensus auprès des spécialistes. « C’est un sujet complexe et ce ne sera pas évident », reconnaît le Dr Gabach, qui appelle à sortir des dissensions pour le bien des patients.

La prévention CV constitue un enjeu majeur pour les généralistes qui assurent l’essentiel du suivi et des prescriptions en prévention primaire. Ainsi, selon des données anciennes, 93 % des diabétiques et 92 % des hypertendus seraient suivis – au moins en partie – par des généralistes. Pour les patients atteints de dyslipidémie en prévention primaire, la prescription d’un traitement hypolipémiant serait établie par un généraliste dans 88 % des cas.

Pas d’aspirine en prévention primaire, selon le CNGE

L’avis du Conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), publié le 19 octobre, sur l’aspirine en prévention primaire pour les patients
à risque cardiovasculaire ne fait pas de quartier. En reprenant les résultats de trois grands essais randomisés en double insu comparant 100 mg/j d’aspirine à un placebo (Arrive, Ascend et Aspree), les experts du CNGE bannissent l’usage de l’aspirine à faible dose chez ces patients, « qu’ils soient diabétiques ou pas, quel que soit leur âge, et y compris en cas d’artériopathie asymptomatique des membres inférieurs ». Au total, les résultats de ces essais ne montrent pas de diminution des évènements cardiovasculaires (sauf dans l’essai Ascend sur des sujets diabétiques, mais qui peut être contesté d’un point de vue méthodologique), avec en revanche une majoration significative du risque annuel d’hémorragies variant de 0,3 à plus de 3 pour 1 000.


Source : Le Généraliste