Aux Antilles, soignants submergés sur fond de défiance vaccinale

Publié le 01/10/2021
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« Le Quotidien » a interrogé des praticiens venus prêter main-forte aux Antilles cet été. Malgré renforts et ponts aériens, les soignants ont subi une situation critique.
Un patient est transféré dans le cadre de l'opération Hippocampe, le 3 septembre, au CHU de Pointe-à-Pitre

Un patient est transféré dans le cadre de l'opération Hippocampe, le 3 septembre, au CHU de Pointe-à-Pitre
Crédit photo : AFP

Le taux d’incidence était déjà « explosif » lorsque le Dr Amandine Gagneux-Brunon, infectiologue au CHU de Saint-Étienne, est arrivée en renfort au CHU de Guadeloupe, le 11 août. D'une violence inouïe, la quatrième vague submergeait les Antilles depuis plusieurs jours. « Ma première impression, c’est que le virus est partout. Qu’il est déjà un peu tard », commente-t-elle sur Twitter, où elle racontera sa mission sur place.  

Il aura fallu attendre le 13 août pour l’entrée en vigueur d’un confinement strict sur l’île (le 10 août en Martinique) dont la fermeture des restaurants, bars, commerces non essentiels, allongement du couvre-feu, durcissement des restrictions de déplacement. Un tour de vis jugé tardif par le Dr Amandine Gagneux-Brunon qui rappelle que le taux d’incidence atteignait 2 147 nouveaux cas pour 100 000 habitants la semaine du 2 au 9 août.  « Des heures d’attente avant que les places en réanimation ne se libèrent », poste-t-elle le 19 août. « L’arrêt de l’activité programmée au CHU de Guadeloupe aurait dû intervenir plus tôt, en tenant compte de ce qui s’était passé en métropole », analyse-t-elle aujourd'hui. Elle considère aussi que « l'ouverture de lits a un peu trop tardé dans les autres établissements qui n'avaient habituellement pas de réa. » 

Des unités Covid qui reposaient sur les renforts

L'État a-t-il tardé à réagir ? Face à la flambée de l'épidémie, le préfet de Guadeloupe avait annoncé le 2 août un confinement partiel de l’île, instauré le 4 août. La situation était pourtant jugée « catastrophique » par l'ARS, le nombre de cas ayant été multiplié par plus de 10 en trois semaines. La semaine suivante, un Guadeloupéen sur cinquante était positif, du jamais-vu, les établissements débordés, les réas saturées. Une situation de médecine de catastrophe qui aurait nécessité que « tout le monde soit sur le pont mi-août », avance le Dr Gagneux-Brunon, alors que des médecins manquaient à l’appel au CHU de Guadeloupe. Résultat : « On a ouvert des unités Covid qui reposaient essentiellement sur des médecins de renfort. » 

Alors que des réanimateurs des hôpitaux antillais témoignaient mi-août de leur obligation de « prioriser » des patients, renforts – et évacuations de malades en avion – se sont multipliés. Le 20 août encore, 400 professionnels de santé s'envolaient pour les Antilles afin de prêter main-forte aux hôpitaux martiniquais et guadeloupéens débordés. Ces soignants de métropole répondaient à l’appel à la solidarité nationale lancé dès le 8 août sur les réseaux sociaux par Olivier Véran.

Manque de matériel 

Pneumologue au CHU de Bordeaux, le Pr Chantal Raherison, arrivée mi-août en renfort au CHU de Guadeloupe, témoigne de l'énergie déployée mais aussi des difficultés matérielles. « J’ai vu des praticiens hospitaliers revenir de congés, des généralistes de ville venir prêter main-forte », en revanche « on manquait d’oxygène de haut débit, d’extracteurs, de saturomètres etc. » « La vague était tellement importante que, quoi qu’on fasse, les capacités de l’hôpital auraient été dépassées », juge-t-elle.

Comme dans d'autres territoires ultramarins, la flambée épidémique est survenue aux Antilles dans un contexte de défiance vaccinale (20 % de la population complètement vaccinée) mais aussi envers l’État, ce qui a considérablement compliqué la riposte de l'exécutif. Lors de sa visite de crise le 12 août au CHU de la Martinique, saturé malgré l'augmentation des capacités d'accueil et de réanimation, le ministre de la Santé Olivier Véran, en compagnie du ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, avait haussé le ton. « Cet hôpital et ceux de Guadeloupe sont remplis de patients qui ne sont pas vaccinés, le retard pris par la vaccination dans les Antilles françaises ne peut plus durer », avait-il recadré, exhortant la population à repartir du bon pied. « Il faut que chacun puisse se dire c'était évitable, évitons la prochaine (vague) », avait-il plaidé. 

Le Pr Hossein Mehdaoui, chef du pôle de réanimation au CHU de Martinique, confirme à cet égard que « les antivax s'appuient sur la méfiance à l'égard de l'État notamment à cause du dossier du chlordécone », ce pesticide toxique utilisé dans les bananeraies antillaises entre 1972 et 1993. Quant à la vaccination, elle reste perçue comme « une injonction » venue de Paris. Une analyse partagée par le Pr Erwan L'Her, professeur de médecine intensive et de réanimation au CHU de Brest. Arrivé en renfort en Martinique le 9 août, il fait au « Quotidien » l’hypothèse suivante : « Le défaut n’a pas été tellement dans la prise en charge ni dans la réaction à la flambée épidémique, mais plutôt dans l’absence de vaccination de la population. » 


Source : Le Quotidien du médecin