Fini l'hygiénisme sanitaire et autoritaire des années 50 ! En ce début de XXIe siècle, politiques et ministres de la santé de tous poils n'ont que le mot concertation à la bouche à chaque fois qu'une décision importante se profile. Mais l'édifice patiemment échafaudé depuis les années 2000 pour donner aux patients droit de cité connaît des ratés. Ces derniers temps, des voix s'élèvent pour dénoncer ainsi l'inefficacité, voire la vacuité de la Conférence Nationale de Santé. Faut-il s'en accommoder malgré tout. ? Ou tout recomposer ?
La démocratie sanitaire ? Depuis au moins 20 ans, tous les gouvernements, de droite ou de gauche s'en gargarisent… Mais quoiqu’ancrée dans le marbre de la loi, cette « troisième démocratie », après celles politique et sociale, serait-elle déjà en péril ? Car derrière les bonnes intentions et les grands principes, se cache une réalité tout autre, à en croire Thomas Dietrich.
En quittant avec fracas il y a un mois le secrétariat général de la Conférence nationale de santé (CNS), organe consultatif placé auprès du ministère de la Santé, le jeune homme a souligné combien cet acquis datant de la loi Kouchner de 2002 repose, à ses yeux, sur un équilibre éminemment précaire.
Dans "Démocratie en santé : les illusions perdues", brûlot d’une trentaine de pages présenté par son auteur comme une « contribution au rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (…) sur le pilotage de la démocratie en santé au sein du ministère des Affaires sociales et de la Santé », il ne mâche pas ses mots à l’égard de ceux appelés à faire vivre et animer ce pan démocratique. Il va ainsi jusqu’à soutenir que « la démocratie en santé n’est qu’une vaste mascarade montée par les hommes et les femmes politiques pour faire croire à une certaine horizontalité de la décision publique en santé alors qu’elle n’aurait jamais été aussi verticale ».
Lettre ouverte des associations de consommateurs
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Cette retentissante sortie a fait écho dans l’agora de la démocratie en santé. Début mars, deux associations de consommateurs adressaient à leur tour une lettre ouverte à Marisol Touraine afin de « porter à (sa) connaissance nos plus vives craintes quant à la concrétisation de cette nouvelle étape de la démocratie sanitaire ».
En l’occurrence, les présidents de l’UFC-Que Choisir et de la CLCV, association nationale de défense des consommateurs et usagers, s’inquiétaient des modalités entourant la création de l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (UNAASS). Exclues du comité technique mis en place au sein duquel « sur ses dix membres, outre son président et un représentant (du) ministère, huit sont adhérents du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) », ces associations soutiennent que « le renforcement de la démocratie sanitaire ne peut pas passer par la création d’un parti unique de représentation des patients et usagers », considérant qu’« à côté de la voix légitime et utile des patients, portée notamment par le collectif de patients CISS, il est essentiel de faire toute sa place à la représentation des usagers ».
La démocratie en panne sèche ?
La démocratie sanitaire est utilisée à toutes les sauces sans forcément savoir ce que l’on met derrière
Alexandre Fauquette
Anecdotiques pour certains, révélatrices de véritables dysfonctionnements pour d’autres, ces situations interrogent : la démocratie sanitaire serait-elle en panne ? Une question à laquelle il est difficile de répondre tant cette notion est dans le fond plutôt floue.
« La démocratie sanitaire est utilisée à toutes les sauces sans forcément savoir ce que l’on met derrière », note ainsi Alexandre Fauquette, « élus, professionnels de santé ou représentants d’usagers en ont souvent des définitions différentes ». Doctorant en sciences politiques, il a constaté, au cours de ses travaux sur les mécanismes participatifs en santé, que « le terme est un peu galvaudé » car utilisé « pour décrire des choses très différentes. Parfois, c’est pour désigner les droits des patients, parfois pour parler de la libre installation des médecins ou encore de la Conférence nationale de santé ».
On instrumentalise la parole des usagers
Dr Michel Naïditch
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Or, « la démocratie sanitaire n’est pas que la CNS », s’emporte Christian Saout. Lui qui a présidé l’instance entre 2006 et 2011, candidat malheureux au poste en 2015, associe le concept à la possibilité pour « les citoyens de s’impliquer dans les décisions de santé ». Tout le monde est à peu près d'accord avec cette définition, mais ensuite, les avis sur sa mise en œuvre effective.
« On instrumentalise la parole des usagers et la démocratie sanitaire », assène ainsi Michel Naïditch pour qui la place accordée aux usagers du système de santé s’apparente à « un grain de sable pour les pouvoirs publics » qui, finalement, s’affranchissent des points de vue exprimés. Médecin de santé publique, cet ancien maître de conférences à l’université Paris 7 déplore d’autant plus cette situation que, rappelle-t-il, l’émergence du concept de démocratie sanitaire coïncide avec des scandales sanitaires où il a été montré que « les décisions prises par des experts ne défendaient pas forcément les bons intérêts ».
Cette époque -les années 80- est également marquée par l’apparition du SIDA face auquel « les médecins, démunis, ont dû faire appel à la connaissance des patients », souligne-t-il, ces derniers se révélant dotés d’une certaine expertise qui légitimait leur parole. Et suggère, finalement, que la démocratie sanitaire était « le résultat d’une faiblesse de notre démocratie », liée, notamment, à l’absence de décentralisation dans la santé. La difficulté pour les patients à se faire entendre sur le terrain expliquerait donc que ce soit les associations d’usagers qui aient pris la parole.
Pour le Dr Naïditch, s’il est difficile, pour elles, de se faire entendre aujourd’hui, c’est que pour certains encore « l’idée même que des profanes puissent donner leur avis est insupportable. Pour les pouvoirs publics, la décision doit être construite et prise par des experts car ce sont eux qui ont le savoir ».
Une analyse pour le moins pessimiste que mitige Alexandre Fauquette. Si la démocratie sanitaire n’est pas, à ses yeux, en panne, il reconnaît néanmoins volontiers qu’« on fait un peu marche arrière sur certains points ». Comme celui relatif à la participation du citoyen lambda dont « le poids est de plus en plus réduit ». Ce recul n’empêche pas une progression sur d’autres d’aspects comme la connaissance de plus en plus fine, par les représentants d’usagers, du système de santé.
Deux piliers de la démocratie sanitaire
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Nuancé, cet état des lieux rejoint l’appréciation portée par Christian Saout sur la démocratie sanitaire, lui qui en est l’un des instigateurs. Rappelant que « la loi Kouchner a fait l’objet d’un vote unanime » du Parlement, en 2002, le secrétaire général délégué du CISS considère plutôt que « la démocratie sanitaire, globalement progresse, même si elle n’est pas encore arrivée à la maturité qu’on souhaiterait ». Il en veut pour preuve la possibilité offerte à tout un chacun d’accéder au juge pour contester les décisions administratives de santé ou introduire un recours contre un dommage. Ou encore le rôle joué par les représentants des usagers dans différentes instances ou établissements sanitaires.
À côté de ces deux piliers de la démocratie sanitaire, Christian Saout reconnaît que « la co-construction des actions avec les usagers, ça existe moins », tout comme leur « participa-tion au débat public n’existe pas beaucoup non plus ». « Ça marche moins bien car on n’en a pas l’habitude, explique-t-il, il n’y a pas de tradition participative comme la connaît dans d’autres domaines de la vie publique ». Quant à la co-construction, « l’idée qu’on peut construire ensemble une action, par exemple dans le domaine de la prévention ou de l’éducation thérapeutique, avec des personnes et des associations » n’est pas encore entrée dans l’habitude des professionnels de santé, faute de leur être enseignée, excuse-t-il.
Une question de transparence
Participer, certes, mais pour quoi faire ? Si le point de vue des participants à la démocratie sanitaire ne constitue qu’un avis dont le gouvernement peut ne pas tenir compte, ce dernier gagnerait toutefois à expliquer sa position. « Quand il décide quelque chose, il devrait dire pourquoi il ne suit pas l’avis des parties prenantes », considère Christian Saout. Qui ne manque pas de souligner que « la démocratie sanitaire ne veut pas dire que les associations ont raison ».
Par ailleurs, ce chercheur soutient qu’en plus de leur pouvoir consultatif, les représentants « usagers » de cette démocratie devraient avoir « plus de pouvoirs décisionnels ». Faute de quoi, le système actuel donne « l’impression d’une participation alibi ». Diversion, prétexte ?
Ce procès est paradoxal, alors même que les politiques font de plus en plus appel aux patients dès qu’une question délicate émerge. Les innombrables débats et discussions entourant l’élaboration de la loi sur la fin de vie ou encore les annonces faites ces derniers mois par Marisol Touraine d’organiser une concertation à propos du dépistage du cancer du sein et un grand débat sur la vaccination illustrent l’insatiable appétit des autorités pour la parole citoyenne.
Des grands débats, mais pour qui... et pour quoi faire ?
Reste à savoir si la pluralité des points de vue exprimés ne rend pas les décisions plus difficiles à prendre car créatrices de fortes attentes du côté des parties prenantes. Ainsi, alors qu’un jury citoyen s’était prononcé, en 2013, en faveur de la légalisation du suicide assisté, le Parlement s’est contenté de voter, fin janvier, le droit à une sédation « profonde et continue ». « Il n’a pas peut-être pas repris la proposition du jury citoyen mais c’est la règle du jeu », tempère Nicolas Brun, responsable du pôle santé à l’Union nationale des associations familiales (UNAF). Toutefois, il « espère que ce qui a été dit a permis d’éclairer les débats ».
« La démocratie sanitaire n’amène pas en tant que telle à des décisions moins ambitieuses, c’est le politique qui a peur », analyse pour sa part Christian Saout. Il atténue d’ailleurs la portée « de la consultation publique » prévue sur les vaccins, qu’il distingue d’un débat public, lequel obéit à des règles strictes d’organisa-tion. Et devrait relever, selon lui, d’autorités dites indépendantes comme la HAS voire même de la Commission nationale du débat public (CNDP).
À cet égard, Claire Compagnon recommandait déjà en 2014 de « développer une politique de formation et de recherche en faveur de la participation des usagers à destination des professionnels et des représentants des usagers ». Dans son rapport Pour l’An II de la démocratie sanitaire, cette figure du mouvement des patients suggérait aussi de « donner les moyens de la participation aux usagers et aux citoyens », une recommandation qui implique « un financement public suffisant et pérenne (…) pour les représentants de la démocratie sanitaire ». Ce à quoi souscrit Nicolas Brun pour qui il faut « reconnaître et respecter les gens » amenés à se pencher sur des sujets de plus en plus complexes.
Nicolas Brunll faut montrer que ça n’est pas que l’affaire des usagers
Il poursuit avec l’indispensable sensibilisation des citoyens à cette démocratie : « Il faut montrer que ça n’est pas que l’affaire des usagers ». Jusqu'à la légitimité des seules associations de patients se trouve posée. De la même façon, Alexandre Fauquette juge que « la seule légitimité d’être malade » ou proche de malade pour participer à cette démocratie est un peu étroite. Il appelle de ses vœux la tenue de nouveaux États généraux de la santé où seraient organisés des « débats publics sur les choix en matière de santé ». Et d’inviter les partis politiques à développer de « vrais programmes de santé qui ne soient pas que des débats techniques ».