Mi-janvier, le franc suisse flambe, et la dette hospitalière due aux emprunts toxiques explose. La France découvre que ses hôpitaux ont souscrit des prêts douteux, dans les années 2000, dont les taux d’intérêt, très attractifs durant deux ou trois ans, varient ensuite selon des règles complexes, mêlant parités de change, indices zone euro et hors zone euro, cours de matières premières, indice d’inflation...
Même le plus affûté des directeurs d’hôpital, avec son diplôme de hautes études en poche, a de quoi y perdre son latin. « Je n’y comprenais rien, au début, à la lecture de ces contrats », confesse l’un d’eux, contraint de gérer les produits toxiques signés par son prédécesseur.
L’impact financier de la flambée du franc suisse est colossal : certains taux d’intérêt frisent les 25 %. Un hôpital se trouve même confronté à un taux record de 39 %. Hors de prix, mais moins ruineux que les faramineuses indemnités de sortie exigées par les banques. « On n’a pas le choix. Payer des intérêts très élevés est la seule solution », résume amèrement Yves Gaubert, en charge du pôle finances à la Fédération hospitalière de France (FHF).
400 millions d’euros promis pour aider les hôpitaux
La FHF se démène en coulisses pour limiter le carnage. Le gouvernement a consenti à muscler le fonds de soutien pour les hôpitaux, passé de 100 à 400 millions d’euros au total. Un bel effort certes, mais qui n’annule pas toute la dette, et qui laisse de nombreuses questions en suspens.
Les banques supporteront-elles réellement les financements complémentaires, comme Marisol Touraine s’y est engagée ? Tous les hôpitaux ayant souscrit un emprunt toxique pourront-ils saisir le fonds de soutien, ou seulement les petits, étranglés par la dette ? Le président de la FHF, Frédéric Valletoux, demande aujourd’hui à Bercy de dissiper les zones d’ombre. Le temps presse : les dossiers doivent être déposés au plus tard le 15 mars. Au-delà de cette date, et en l’absence de réponse claire, la FHF brandit la menace d’une plainte auprès de la Commission européenne.
Car l’État français joue un rôle ambigu sur le dossier. Le fait d’avoir racheté les actifs de Dexia, balayée par les emprunts toxiques, l’expose à des poursuites. Si tous les prêts structurés des collectivités et des hôpitaux étaient brisés au tribunal, l’ardoise s’élèverait à 10 ou 12 milliards d’euros. L’État, pour se protéger, a rendu conformes a posteriori des contrats qui omettaient des mentions obligatoires, par le biais d’une loi validée par le Conseil constitutionnel. C’est cette loi que la FHF entend casser en saisissant Bruxelles.
Peu d’hôpitaux ont osé saisir la justice
Des contentieux ont émergé en dépit du bouclier législatif brandi par l’État. La communauté urbaine de Lille a obtenu la condamnation de sa banque pour défaut de conseil. Un syndicat intercommunal a été indemnisé pour perte de chance. Près de 200 collectivités locales ont saisi le tribunal. Les hôpitaux sont peu nombreux, vingt tout au plus, à avoir emprunté cette voie. Pourquoi ? « Les élus locaux ont des relais politiques nationaux. Ils sont plus à même de se faire entendre que les directeurs d’hôpitaux », note Christophe Greffet, vice-président du conseil général de l’Ain, et président de l’association des acteurs publics contre les emprunts toxiques, fondée par Claude Bartolone.
Surtout, les élus ne sont pas notés par l’État. Pas simple, pour un directeur d’hôpital, de contrarier les autorités qui font et défont sa carrière. Peu fiers des conséquences du marasme sur les finances publiques, les dirigeants hospitaliers refusent toutefois de passer pour des gestionnaires médiocres. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital, dénonce « l’impunité des banques », qui portent à ses yeux « la responsabilité principale ».
L’avocate Stéphanie Barré-Houdart défend plusieurs hôpitaux englués dans un emprunt toxique. Elle accuse : « Les banques concernées ont piétiné leurs obligations en n’informant pas leurs clients sur les conditions de sortie et les risques. Aucune tutelle, aucun trésorier-payeur général n’a été mis en cause. Pourtant, l’État n’a pas joué son rôle de contrôle. Il a ouvert la boîte de Pandore avec les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 ». « Si nous envisageons une plainte européenne, c’est pour mettre l’État français devant ses responsabilités », conclut Christophe Greffet.
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