LE QUOTIDIEN : Comment qualifier les rapports entre un directeur d'hôpital et un médecin ?
Pr NOËL GARABÉDIAN : Nous avons parfois des logiques différentes. Certains directeurs voudraient bien imposer aux médecins un rapport de subordination qui n'existe pas dans la réalité.
Le directeur possède une autorité sur les moyens et sur les structures mais pas sur les soins. Le médecin entretient un rapport privilégié avec le patient, qui prime tout le reste. Cette connexion directe échappe à l'administration, et cette dichotomie directeur/médecin d'une part, médecin/patient d'autre part a un impact sur les liens, parfois distendus, qui se tissent entre les managers et les praticiens, pour la bonne et simple raison qu'ils ne vont pas toujours dans le même sens.
La défiance que relayent les médias entre les deux métiers est-elle nouvelle ? D'où vient-elle ?
L'hôpital est aujourd'hui un lieu de tension entre les garants de l'équilibre budgétaire que sont les directeurs et les garants de la qualité des soins que sont les médecins. Le service public hospitalier a été soumis à une vraie mutation avec l'introduction de normes comptables et budgétaires, de productivité, voire de rentabilité, qui ont transformé en profondeur son organisation.
Avant, le médecin devait mettre tout en œuvre pour une obligation de moyens. Désormais, nous sommes confrontés à une obligation de résultats non seulement médicaux mais aussi économiques.
En plus, la grande autonomie qui était celle du corps médical a disparu au profil d'une évaluation quantitative au fil de l'eau de son activité, ressentie par certains collègues comme du contrôle. Ils dénoncent la lourdeur bureaucratique qui s'est infiltrée dans le fonctionnement et ressentent une perte de reconnaissance de leur légitimité professionnelle, auparavant incontestée, sur le soin et la recherche.
Heureusement, cette légitimité est toujours reconnue par les patients qui sont plus intéressés par l'efficacité médicale que l'efficience économique. Mais vous comprendrez donc que ça coince, ça irrite ! Cette situation dérange les confrères et contribue à gripper leurs rapports avec l'administration.
Et si la clé pour apporter du liant, c'était de réformer la gouvernance médicale ?
On nous en parle beaucoup de la médicalisation de la gouvernance ces temps-ci ! Sincèrement, je n'ai aucune idée de ce que cela veut dire. Plus de médecins élus ou plus de médecins nommés ?
La situation est la suivante. Nous, présidents de CME, sommes élus par nos pairs pour les représenter, pour être leur porte-parole, leur médiateur. Nous avons aussi un pied dans la gouvernance, et même dans la prise de décision, sauf que nous avons peu de pouvoir décisionnel ! Là est tout le problème !
À l'étranger, l'administration est au service du médecin pour qu'il exerce du mieux possible. Pas en France. Depuis la loi HPST [Bachelot, NDLR], la médicalisation de la gouvernance n'existe pas. Le directeur d'hôpital a le pouvoir décisionnaire principal. Les réformettes menées dans l'intervalle ont peu changé la donne. Les problèmes budgétaires ont pris une part trop importante. Certains directeurs font attention au corps médical, mais c'est inégal. C'est humainement dépendant.
J'attends de voir ce que la future loi de santé, une fois votée, sera en mesure de faire pour rétablir l'équilibre.
C'est quoi un bon directeur ? Un médecin ?
Cela réclame d'être à l'écoute de la communauté médicale, passer dans les services, voir les problèmes, demander régulièrement des nouvelles, ne pas s'en tenir au dialogue avec les responsables de pôles ou de départements médicaux. C'est très important pour un directeur de se confronter de temps en temps à la réalité du terrain, de ne pas être enfermé dans une tour d'ivoire. Je le redis : l'administration doit être au service du médecin. C'est le manque de moyens, de personnels, mais aussi des petites choses très simples qui pourrissent le quotidien, comme écrire un courrier qui reste lettre morte.
Je suis favorable à la diversification des profils de managers, même si, à titre personnel, je ne risque pas de réclamer le job de directeur de l'AP-HP. L'ouverture au monde médical peut certes contribuer à améliorer les relations mais ce n'est pas un gage unique de garantie. Le management n'est pas inné. Il y a des médecins comme des directeurs qui n'écoutent pas toujours. C'est dommage car la bienveillance devrait toujours prévaloir.
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