Pour devenir médecins, les jeunes Français continuent de se rendre en masse outre-Quiévrain malgré les quotas instaurés par le gouvernement. Près de 700 nouveaux étudiants étrangers, très majoritairement des Français, ont pris place en première année de médecine sur les bancs des cinq facultés francophones de Belgique. Selon nos estimations, ils sont aujourd’hui plus de 1 200 en formation de la 1e à la 7e année. Ce contournement massif du numerus clausus inquiète les autorités des deux pays.
QUEL EST LE POINT commun entre Bernard Arnault, Gérard Depardieu et des centaines d’étudiants français en médecine ? Ils aiment la Belgique.
Destination traditionnellement privilégiée des Français pour les filières de santé, le plat pays a connu ces dernières années un incroyable afflux d’étudiants de l’Hexagone pour suivre des études vétérinaires, d’odontologie, de kinésithérapie, d’orthophonie, de maïeutique… et de médecine.
En 2006, les Français étaient très officiellement 580 inscrits en médecine dans les cinq facultés francophones de Belgique : à Bruxelles, Liège et Louvain ou l’enseignement est dispensé de la 1e à la 7e année et à Mons et Namur (1e à 3e année). Cinq ans plus tard, ils étaient 948, selon des chiffres communiqués par le ministère de la Santé. Ils sont aujourd’hui plus d’un millier et très vraisemblablement au moins 1 200 selon nos estimations, sans compter les Français en cours de spécialisation (qui dure de deux à six ans selon les disciplines).
Quelque 700 non-résidents ont intégré la première année de médecine ces deux dernières années – à 90 % des Français (voir tableau). La seule faculté de Louvain, qui accueille le plus d’étudiants français en compte à ce jour 347 pour les 7 années de médecine lors de l’année universitaire 2013-2014 mais les inscriptions ne sont pas clôturées. L’Université libre de Bruxelles (ULB) compte environ 30 % d’étudiants français parmi ses 2 000 étudiants inscrits, toutes promotions confondues.
Le spectre d’une pénurie.
Le phénomène a pris ces dernières années une ampleur incontrôlée depuis la suppression en 2008 du numerus clausus belge qui avait cours à la fin de la 3e année. Au point que des parents d’étudiants s’en sont émus dans une lettre ouverte publiée en juillet par « la Libre Belgique », s’inquiétant que « des Français formés en Belgique, et dont les études sont payées en partie par le contribuable belge, rentrent exercer en France, une fois leur diplôme en poche ».
La situation a amené le ministère de l’Enseignement supérieur belge à mettre en place des quotas de non-résidents, l’an passé. Seulement 30 % des inscrits en première année en 2012/2013 ont été autorisés à postuler dans une faculté francophone lors de cette rentrée. « Cet afflux d’étudiants non-résidents posait des problèmes d’enseignement, les amphis n’étaient pas extensibles, on commençait à manquer de stages et à avoir du mal à organiser les travaux pratiques », nous précise l’entourage du ministre socialiste de l’Enseignement supérieur Jean Claude Marcourt.
Tradition.
Le Dr Marco Schetgen, vice-doyen de l’Université libre de Bruxelles (ULB), qui a conseillé pendant plusieurs années le ministère de la Santé sur les études de santé, confirme que ce sureffectif était de nature à désorganiser les universités. « Dans certaines facultés, le nombre d’étudiants était tellement important qu’il devenait difficile d’assurer de bons enseignements. Par ailleurs, les universités belges se retrouvaient avec un réel problème financier », explique le vice-doyen.
La situation est d’autant plus problématique que cette formation est assurée à fonds perdus pour la Belgique. « 80 % étudiants français que nous formons retournent exercer dans leur pays, poursuit le Dr Schetgen. Cela met en danger le système de nos universités de santé ». La Belgique connaît des pénuries dans plusieurs spécialités : la médecine générale, la médecine d’urgence, la gériatrie, l’oncologie ou la pédopsychiatrie.
« Si nous n’avions pas réagi, près de la moitié de nos étudiants seraient Français », affirme le Dr Schetgen.
L’attractivité de la Belgique n’est pas nouvelle. Au CHU Saint-Pierre, dans le centre-ville de Bruxelles, le Pr Pierre Mols se souvient que 30 % des étudiants de sa promotion de première année, en 1971, étaient déjà des Français et des Américains. « Nous formons beaucoup de gens qui repartent immédiatement après », constate le chef des urgences de Saint-Pierre, qui accueille justement une étudiante française de 4e année préparant sa spécialisation en médecine d’urgence.
Patate chaude.
Depuis 2012, les autorités françaises travaillent en étroite collaboration avec leurs homologues belges. Un groupe de travail des ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur des deux pays étudie les conséquences de l’augmentation continue du nombre d’étudiants français outre-Quiévrain. À ce jour, aucune mesure concrète n’a été prise. Le groupe de travail souhaite en savoir plus sur la mobilité de ces étudiants français et sur leur lieu d’installation à l’issue de leur formation.
L’Ordre national des médecins français est en alerte. Le sujet pose une question éthique. « Est-ce que les universités belges ont vocation à former des étudiants non belges ? », s’interroge le Dr Xavier Deau, spécialiste des questions internationales au CNOM. Cette formation représente un investissement estimé à 6 000 euros par étudiant et par an. Mais la loi ne permet pas d’empêcher les flux de professionnels de santé entre les pays membres de l’Union européenne depuis la directive qui reconnaît la réciprocité des diplômes.
Régulation européenne.
En France, ce contournement du numerus clausus commence à faire polémique. Le Pr Dominique Perrotin, président de la conférence des doyens, appelle de ses vœux une « régulation européenne des études médicales ». Selon lui, il revient au Parlement européen de se saisir de cette question. Combien de Français inscrits en première année en Belgique iront au bout de leurs cursus ? L’an dernier, le taux de réussite moyen en première année a atteint 38 %.
Les étudiants belges sont sur le qui-vive. Ils sont très préoccupés par les difficultés qu’ils pourraient rencontrer demain pour obtenir un numéro d’immatriculation INAMI, sésame pour exercer au terme de leur cursus. Le nombre de ces autorisations a été très encadré pour les prochaines années. « Nous craignons que beaucoup de Français retournent en France avec un numéro INAMI », explique le Dr Jérôme Lechien, secrétaire général du Comité interuniversitaire des étudiants en médecine (CIUM), l’association des carabins belges.
Combien de médecins rentreront en France une fois formés, c’est une autre question. L’aspect financier pourrait peser dans la décision. « Un gynécologue gagne trois fois plus à Bordeaux qu’en Belgique, explique Jérôme Lechien. Je suis prêt à croire que les Français partiront plus facilement que nous. »
Tous ne rentreront pas. À ce jour, la France est après les Pays-Bas la deuxième nationalité étrangère représentée en Belgique avec 1 600 médecins « habilités à exercer l’art de guérir », selon les chiffres du ministère de la Santé belge. Et 165 praticiens français ont obtenu un « visa » en 2012 les autorisant à exercer en Belgique.
Article suivant
Des étudiants français s’exilent en Roumanie
Plus de 1 000 étudiants français dans les facultés de médecine belges
Des étudiants français s’exilent en Roumanie
La nouvelle voie croate
« L’accès au secteur 2 pour tous, meilleur moyen de préserver la convention », juge la nouvelle présidente de Jeunes Médecins
Jeu concours
Internes et jeunes généralistes, gagnez votre place pour le congrès CMGF 2025 et un abonnement au Quotidien !
« Non à une réforme bâclée » : grève des internes le 29 janvier contre la 4e année de médecine générale
Suspension de l’interne de Tours condamné pour agressions sexuelles : décision fin novembre