D’où vient ce phénomène de notation sur Internet et comment s’est-il appliqué à la santé ?
Jean-Samuel Beuscart Le format des notes et des avis remonte à la fin des années 90 chez Amazon et d’autres e-commerçants. Au début, les notes portaient uniquement sur le catalogue de biens culturels d’Amazon. Au vu du succès rencontré chez les consommateurs, le phénomène s’est étendu. Il est aujourd’hui omniprésent, même dans la santé. Nos recherches montrent cependant que les notes et avis jouent un rôle plus important si le domaine concerné est pauvrement équipé en dispositifs de jugement. Dans le domaine du cinéma par exemple, les avis Allociné ont moins d’effet que la bande-annonce, l’affiche, les stars. À l’inverse, pour la restauration, qui ne fonctionnait auparavant qu’au bouche-à-oreille local, les effets des avis en ligne sont forts. C’est la même chose aujourd’hui pour les médecins. Les avis en ligne sont une des seules sources d’information pour le patient.
Faut-il forcément voir négativement la notation ?
J-S B. Dans l’ensemble, les notes sont quelque chose de très positif, une extension « numérique » du bouche à oreille. La moyenne est de 4 sur 5 dans la plupart des domaines. Il faut donc relativiser, même s’il n’y a pas eu d’analyse du phénomène pour les seuls médecins. La notation est un dispositif destiné avant tout aux autres patients, et en second lieu un outil d’amélioration pour le médecin. Quand le patient choisit un praticien, il ne recherche pas le bon rapport qualité prix comme pour un bien culturel, et son seul moyen d’information est le bouche-à-oreille ou l’expérience. Les usagers ont à cet effet bien intégré qu’il faut lire beaucoup d’avis et ne pas se fier aux seuls "râleurs".
Des médecins mettent en avant les effets néfastes que celle-ci pourrait avoir sur une profession déjà en souffrance morale...
J-S B. Les médecins ont raison d’anticiper l’impact moral car il faut se prémunir des petites injustices ponctuelles qui peuvent arriver avec les avis en ligne. Au début, c’est moralement dur, comme jadis avec les restaurateurs. Mais il faut aussi prendre cela comme un outil constructif. Les recherches ont montré que la dimension morale est dans la grande majorité des cas prise en compte par l’émetteur de l’avis, d’autant plus lorsqu’il évalue une personne. L’internaute qui se défoule est une exception.
Les avis ne sont donc pas le seul fait de mécontents ?
J-S B. Dans nos travaux, nous avons observé le contraire. Il y a deux catégories de "noteurs". Près de la moitié sont des personnes qui postent un avis de temps en temps. Elles sont souvent un peu plus extrêmes, dans le positif ou le négatif, car elles racontent une expérience. Mais la majorité des avis sont émis par des gens qui s’expriment régulièrement et souvent de manière raisonnable. Avec les médecins généralistes, c’est sans doute ce deuxième cas de figure qui va se développer, avec des patients réguliers qui notent leur généraliste sur Internet pour l’encourager.
* Sociologue et économiste des nouveaux médias, auteur de « Une démocratisation du marché ? Notes et avis de consommateurs sur le Web dans le secteur de la restauration ».
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Jean-Samuel Beuscart* : « L’internaute qui se défoule est une exception »
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