C’est une question que certains médecins entendent fréquemment en consultation. Et si d’autres – à l’instar des Drs Racha Onaisi et Louis-Baptiste Jaunay – rapportent y être plus rarement confrontés, tous les praticiens sollicités à ce sujet se souviennent avoir un jour dû y faire face. « Vous, docteur, que feriez-vous à ma place ? » Or, à l’heure du respect de l’autonomie des individus et de la décision médicale partagée, peut-on abandonner sa neutralité habituelle pour répondre directement – au risque d’influencer les patients ?
Pour rappel, le droit laisse relativement libre. L’article L. 1111-4 du code de la santé publique souligne seulement que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». Et si la loi l’oblige à recueillir le consentement « libre et éclairé », décider n’est pas une obligation côté patients : selon le code de déontologie, chacun peut même demander à « être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic » et s’en remettre totalement aux soignants. Le choix de répondre ou non à la question « que feriez-vous à ma place ? » relève donc de l’éthique personnelle.
Comprendre les raisons de ces demandes
Cela étant dit, un consensus semble se dégager autour de la nécessité de comprendre les raisons d’une telle adresse. « La question peut simplement cacher une demande d’informations complémentaires ou de précision face à un trop-plein d’explications », témoigne la Dr Onaisi. Mais une détresse plus profonde est souvent incriminée. Ainsi, aux yeux de Jean-Pierre Graftieaux, ancien neuroanesthésiste, docteur en philosophie pratique et éthique médicale, une inquiétude des malades concernant leur devenir est fréquemment en cause. Un constat partagé par la Dr Isabelle Véron-Leclercq, gynécologue-obstétricienne à la clinique Reims-Bezannes, qui voit cette question émerger « devant des décisions de vie ou en lien avec une crainte de voir son identité – de femme ou de mère – altérée par certaines interventions (hystérectomie, IVG, etc.) ». « Cette question se rapporte surtout à des choix difficiles », insiste la Dr Julie Chastang.
De ce fait, une première réaction peut consister à réconforter. Aussi, la Dr Véron-Leclercq assure à ses patientes « qu’elles resteront des femmes ou des mères » et leur rappelle leurs droits avant d’aller plus loin.
Certains préfèrent n’apporter que des chiffres et des faits quand d’autres, comme le Dr Graftieaux, considèrent « qu’il faut s’engager dans une réponse franche, sans esquive, sans rhétorique ». Car cette question témoigne de la confiance accordée par le patient, qui oblige à répondre, estime le neuroanesthésiste. De plus, l’enjeu est de ne pas laisser le patient seul avec une « angoisse existentielle », qui compromet la réception rationnelle de toute information objective et le consentement libre et éclairé. Et le Dr Graftieaux l’assure : répondre ne revient pas à s’approprier la décision du patient – à condition de ne pas avoir devancé la question et de « ne pas trop en dire ».
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