Rendre la société accessible à tous, nul ne remet en cause le principe. Pourtant, la loi manquerait un peu de souplesse. Sentiment partagé par les médecins généralistes qui trouvent que le processus de mise aux normes des cabinets médicaux va un peu trop loin… « Nous sommes conscients du bien fondé de permettre aux personnes handicapées de venir jusqu'à nous, explique le Dr Valérie Griselle-Wiseler, installée à Chelles en Seine-et-Marne. Seulement, précise-t-elle, la plupart des patients handicapés nous demandent de nous déplacer jusqu'à leur domicile et très peu font la démarche de venir jusqu’à nous ». D’autant que, bien souvent, les transports publics sont eux-mêmes inadaptés et les chaussées endommagées. Avis partagé par les Drs Josy Deodati et Gilda Strouc, qui exercent dans les Hauts-de-Seine : « Nous sommes d’accord sur le principe mais cette loi aurait dû tenir compte de la fréquence des passages des personnes à mobilité réduite dans nos cabinets ».
Installée à Montpellier dans un immeuble relativement récent, le Dr Dominique Jeulin-Flamme a, quant à elle, du mal à comprendre « l’ampleur de la démarche ». Malgré sa construction récente (1986), le bâtiment qui abrite son cabinet n’est pas – au regard des derniers textes parus – à proprement parler accessible. Et, pourtant, il permet bel et bien l’accueil des personnes handicapées : « Je reçois des personnes tétraplégiques. Si elles ont du mal à entrer, je descends les aider ». Les normes imposées par la loi seraient donc trop strictes, un sale coup porté à une profession déjà en difficulté. « Les règles sont en dehors de la réalité et, bien que récents, de nombreux cabinets ne sont pas conformes à la loi », fait remarquer ce médecin, conscient qu’un audit très chronophage et coûteux de son cabinet devra, malgré tout, être réalisé à ses frais.
Une mise en conformité difficile
Malgré leur bonne volonté, certains praticiens ne pourront pas assumer financièrement les travaux d’aménagement imposés. C’est le cas du Dr Griselle-Wiseler en recherche de solutions. « Nous sommes un groupe initialement de 8 médecins, en grande difficulté n'étant plus que 4. Les médecins
en partance ne trouvant pas de successeur, nous devons donc faire face aux charges des absents pour le loyer et le personnel. » Une partie du cabinet est en étage sans ascenseur, les portes sont trop étroites et les toilettes trop petites. Les travaux s’annoncent coûteux et ce groupe de médecins va devoir affronter un déménagement, source de dépenses, qui entraînera inéluctablement une séparation du groupe.
La surdité des pouvoirs publics
Dans les situations où la mise aux normes du cabinet se révèle complexe, les médecins dénoncent la surdité des pouvoirs publics. « Ceux qui ont les plus grandes difficultés doivent être entendus par les autorités (préfet, Conseil de l’Ordre, associations...) afin de pouvoir apprécier comment les aider et dans quelle mesure ; ce qui paraît admissible et ce qui ne l'est pas...», note le Dr Bouchilloux qui exerce à Haut- Mauco dans le département des Landes. Car peu sont aussi chanceux que ce généraliste installé au 1er étage d’un immeuble et qui va déménager au rez-de-chaussée dans le courant de 2015, aux frais de la mairie.
Ceux qui songent à dévisser leur plaque
Le Dr Bouchilloux n’est pas propriétaire de son cabinet. Si tel avait été le cas, dit-il, « je crois je me serais posé la question d'arrêter mon exercice et de faire des remplacements. Cela aurait été ma réaction à cette obligation de mise en conformité ». Ainsi, le risque est grand de voir de nombreux cabinets de proximité fermer leurs portes. Dans le quartier de Belfort où exerce le Dr Garberet, quatre de ses confrères ont plus de 60 ans : « Ils travaillent comme moi dans de vieux immeubles et ont annoncé leur décision de dévisser leur plaque et de partir en retraite anticipée ». Ces médecins ne réaliseront pas les travaux de mise en conformité, mais seront-ils pour autant remplacés ?
« J’exerce depuis 45 ans et je cherche un successeur depuis un an, fait remarquer le Dr Garberet, je ne trouve personne prêt à investir dans mon cabinet… » Ils sont donc nombreux à dénoncer l’effet pervers de la loi de 2005 : la possible disparition progressive de l’activité libérale en centre-ville. « Le jour où j’arrête mon activité, confirme le Dr Jeulin-Flamme, je transforme mon cabinet en habitation car aucune profession accueillant du public ne pourra s’y installer. »
Trouver des solutions
Conscients de n’avoir pas été pris en traitre (la loi a tout de même 10 ans), certains médecins ont pris les devants et largement envisagé des solutions. « À moins d'avoir vécu loin du pays ces dernières années ou d’avoir perdu tout contact avec le métier, chacun a été informé et a pu se renseigner ! », ironise le Dr Michel Bouchilloux. En 10 ans, explique-t-il, chacun a pu se rendre à des réunions d’information et prendre les dispositions nécessaires à l’adaptation de son cabinet.
C’est le cas des Drs Deodati et Strouc. « Nous avons fait venir un architecte de l’Association des Paralysés de France qui s’est déplacé en fauteuil. Le couloir d’accès au cabinet est trop étroit et il existe une pente trop raide », détaillent les deux généralistes. Mais la configuration de l’immeuble rend les travaux impossibles et des dérogations ont déjà pu être obtenues. « L’essentiel, précisent ces deux médecins, est de proposer des solutions compensatrices par rapport à un problème. » Dans certains cas, les visites à domiciles
feront l’affaire.
En tout état de cause, chacun devra prouver sa bonne volonté dans la recherche de solutions car les associations représentatives des personnes handicapées veillent au grain et surveilleront de très près les démarches de mise en accessibilité des cabinets médicaux.
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