• L’administratif qui grignote le médical
Le Dr Jocelyne Berdugo, gynécologue-obstréticienne à Maison-Alfort, n’en peut plus. Exaspérée par le poids des tâches administratives, elle a écrit à la CPAM du Val-de-Marne et à l’Ordre pour livrer ses états d’âme. Entre les patientes qui oublient leur carte Vitale, la télétransmission défectueuse, l’usage de cette carte pas accessible aux remplaçantes, les « aléas » de l’informatique… le Dr Berdugo a dû supprimer des consultations « pour compenser le temps perdu ». « Il est inadmissible de substituer la paperasserie à la médecine », écrit-elle. « Il faut que les médecins puissent pratiquer de la médecine lors de leurs consultations et non pas de l’administratif, de la gestion, de la comptabilité, de l’informatique, de la maitenance, de l’accueil téléphonique… ». La simplification administrative est un des axes majeurs de la mission Hubert.
• Réquisitions à répétition
Dans un secteur de garde proche de Vendôme (Loir-et-Cher), le préfet réquisitionne un médecin du lundi au dimanche entre 20 heures et 24 heures tous les jours de l’année depuis le début de 2009! « On ne sert pourtant à rien sur ce secteur, où nous accomplissons au mieux un acte par soirée », regrette le Dr Cyrille Collette, qui fait partie de la petite quinzaine de généralistes réquisitionnés à tour de rôle sur ce secteur. Fin 2008, ces médecins avaient envoyé un courrier au préfet pour lui demander d’arrêter ces gardes inutiles, et l’informant qu’ils n’étaient plus volontaires. « Le préfet n’a pas voulu discuter et nous envoie depuis ces réquisitions », continue le Dr Collette. Mais le plus aberrant, selon lui, est que la CPAM du Loir-et-Cher refuse de payer les astreintes à ces médecins réquisitionnés, au motif qu’ils sont réquisitionnés. « La directrice de la CPAM m’a écrit pour me dire que les astreintes étaient réservées aux médecins volontaires, assure le Dr Collette. Je lui ai demandé sur quel texte elle fondait cette décision, j’attends toujours sa réponse ». Et comme si ces réquisitions sur son secteur ne suffisaient pas, Cyrille Collette a reçu il y a trois semaines une autre réquisition…pour un secteur de garde distant de plus de 80 km de son lieu d’exercice. Coup de chance, si l’on peut dire, l’administration a reconnu son erreur dès le lendemain et le praticien a été dispensé d’assurer cette nouvelle garde. Le préfet a fait part il y a un mois de son intention de réunir prochainement un CODAMUPS (Comité départemental de l’aide médicale urgente et de la PDS) anticipé pour mettre à plat ces problèmes, mais les médecins attendent toujours sa convocation.
• Lignes jaunes du bizone
En ouvrant sa boîte aux lettres en juillet 2009, le Dr Daniel Chalet, médecin généraliste à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis, a eu une mauvaise surprise. Par lettre recommandée, la CPAM lui reproche de ne pas avoir respecté les modalités des prescriptions en affections de longue durée (ALD) de onze patients. Un rendez-vous avec des médecins conseils est organisé. « J’ai eu l’impression d’être devant des maîtres d’école, se rappelle le médecin. J’ai été infantilisé ». À l’issue de cet entretien, le généraliste refait des protocoles pour des pathologies surajoutées, selon le conseil de ces confrères. Il modifie ses prescriptions pour les patients en cause. « Je pensais que l’affaire en resterait là et que cette histoire se solderait par un avertissement », confie le généraliste au Quotidien. Erreur. En mai 2010, le Dr Chalet reçoit une demande d’indemnisation de préjudice de la part de sa CPAM. Pour avoir enfreint les règles en matière de prescription sur l’ordonnancier bizone et « avoir fait prendre en charge indûment par l’assurance-maladie des prestations en nature en rapport avec ces affections », le généraliste est appelé à régler 992,16 euros. Le Dr Chalet doit normalement payer cette somme dans le mois mais il hésite sur la conduite à tenir. Il a fait appel à un syndicat dont l’avocat recommande qu’il s’oppose à cette décision. Cette affaire perturbe beaucoup le médecin de famille. « J’ai 64 ans, j’exerce depuis 1975 et je ne sais pas aujourd’hui si je vais aller au bout, commente Daniel Chalet. Les relations avec les autorités de tutelle se dégradent et je me demande si je ne vais pas dévisser ma plaque à la fin de l’année ».
• Méandres du parcours de soins
Le parcours de soins n’a pas facilité la vie du Dr Hélène Rezeau Frantz. Il lui a même singulièrement compliqué l’existence. Cette généraliste installée à Dordives dans le Loiret se voit reprocher « un usage abusif de l’indicateur "nouveau médecin traitant" dans les feuilles de soins électroniques ».« On me reproche de cocher nouveau médecin traitant (MTN) à chaque fois sans avoir rempli de déclaration de médecin traitant », explique le médecin. Hélène Rezeau Frantz aurait commis « 137 erreurs » entre février et décembre 2009. « La plupart de ces patients, je les suis depuis longtemps et il arrive que certains aillent voir d’autres médecins ». La CPAM réclame au médecin le versement de 1 064,80 euros pour n’avoir pas respecté les règles de facturation. « La minoration de 40 % du remboursement qui s’applique lorsqu’un acte est réalisé par un médecin en dehors du parcours de soins coordonné n’a pas été effectuée », note la caisse. La généraliste n’a toujours pas payé. Elle risque une mise en demeure et une majoration de 10 %. « Je ne comprends pas pourquoi la caisse ne m’a pas contactée une seule fois pour me dire qu’il y avait un problème, confie le Dr Rezeau Frantz. C’est la nouvelle politique de l’Assurance-maladie ». Selon le praticien, ils seraient 18 médecins dans le Loiret à se voir réprimander à cause de la case MTN. À 50 ans, la généraliste assure qu’elle ne supportera plus longtemps ces tracasseries administratives. Après 23 ans d’exercice dans son village, elle est prête à dévisser sa plaque. « Si ça devient trop galère, je ferai des remplacements et des vacations dans des maisons de retraite », explique la généraliste de Dordives.
• Prescriptions sous surveillance
Le contentieux remonte à plusieurs mois. Généraliste spécialisé dans la médecine du sport dans le Nord-Pas-de-Calais, le Dr Jérémie Caudin a été poursuivi pour avoir prescrit trop de séances de kinésithérapie. Six fois plus que la moyenne des généralistes du département, affirme la caisse. Jérémie Caudin conteste ces chiffres. « Ils ne correspondent pas à notre relevé d’activité, note le praticien qui fut médecin des équipes de football de Calais et Boulogne-sur-Mer. Je vois beaucoup de sportifs parce qu’ils se sont abîmés le genou, l’épaule ou la cheville ». En dépit de l’avis favorable au médecin de la commission des pénalités, le directeur de la CPAM de Boulogne-sur-Mer place le Dr Caudin sous entente préalable pour trois mois. Pendant cette période, le médecin réalise plus de 200 prescriptions de kinésithérapie. Toutes les ordonnances sont acceptées par le contrôle médical… Toutes sauf une. « Après refus de l’expert, le patient a porté l’affaire devant le tribunal des affaires sociales qui a donné tort à la caisse et à l’expert, j’ai dû refaire mon ordonnance », commente le Dr Caudin qui se dit victime d’un harcèlement. « J’ai l’impression d’être l’objet d’une chasse à l’homme, commente le praticien. Le but était de faire de moi un exemple. Il n’y a eu aucune tentative de dialogue, que des coups de bâton ». À près de 50 ans, le médecin l’assure : « S’ils continuent de me casser les pieds, je décroche ».
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