Alors que l’Assemblée nationale et le Sénat ont récemment adopté deux propositions de loi visant à réguler l’installation des médecins, dans un contexte de débats nourris sur l’accès aux soins, il est essentiel de rappeler l’objectif que nous partageons, toutes spécialités confondues : garantir un accès aux soins pour tous, sur tout le territoire. Mais cet enjeu mérite mieux qu’une réponse administrative et uniforme.
Imposer des contraintes à l'installation ne résoudra pas le problème des déserts médicaux. Au contraire, c’est une approche inefficace, contre-productive, qui risque d’accentuer les inégalités territoriales plutôt que de les corriger. La situation est plus complexe : les déserts médicaux ne résultent pas d'un défaut de bonne volonté des professionnels, mais d'une réalité démographique et organisationnelle.
La liberté d'installation est un pilier de l'exercice libéral, qui garantit la vitalité de notre système de santé et l'attractivité de nos territoires
L'expérience du Snof l'illustre. Depuis près de quinze ans, les ophtalmologistes de France ont déployé de nouveaux modèles : délégation de tâches, travail aidé, développement de sites secondaires à proximité des patients. Résultat : en 2024, le délai médian pour obtenir un rendez-vous non urgent a été réduit à 19 jours, contre 85 en 2017. Ce progrès n'est pas le fruit d'une contrainte imposée, mais d'une coopération active sur le terrain. Surtout, il a profité à l’ensemble du territoire : les efforts ont été menés aussi bien dans les grandes villes que dans les zones rurales ou périurbaines, prouvant qu'une stratégie souple et adaptée peut améliorer durablement l'accès aux soins partout en France.
C’est en développant de tels modèles agiles que nous éviterons un risque majeur, soulevé par plusieurs élus : celui de voir la régulation aggraver la situation au lieu de l’améliorer. En imposant des règles uniformes et rigides sur l’installation des médecins, on risque non seulement de décourager les jeunes praticiens à s’installer, mais aussi de casser les initiatives locales qui fonctionnent déjà. Plutôt que de corriger les inégalités territoriales, une telle approche risquerait au contraire de les figer durablement.
La liberté d'installation n’est pas le problème. Elle est un pilier de l'exercice libéral, qui garantit la vitalité de notre système de santé et l'attractivité de nos territoires. Remettre en cause ce principe reviendrait à prendre le risque de casser des dynamiques vertueuses sans résoudre les problèmes de fond.
D'autres solutions existent
Renforcer le travail aidé et les équipes de soins autour du médecin ; développer les sites secondaires pour rapprocher les soins des patients ; valoriser les stages en libéral pour les internes, afin de leur faire découvrir d'autres modes d’exercice ; encourager les passerelles public-privé pour l’activité chirurgicale ; créer des postes d’assistanat de territoire pour accompagner les jeunes praticiens sont des solutions existantes.
En misant sur la confiance, la coordination et l'innovation, nous pouvons améliorer l’accès aux soins de manière pérenne et efficace
Ces mesures concrètes sont déjà mises en place dans la filière visuelle et elles ont fait leurs preuves. À l’heure où la proposition de loi débattue prévoit notamment d'imposer aux jeunes médecins deux jours par semaine en zone sous-dotée pour obtenir leur droit à exercer, il est essentiel de rappeler que l'accès aux soins ne se décrète pas par injonction administrative. Ce n’est pas en imposant des obligations rigides que l’on rendra durablement les territoires attractifs. L'expérience montre qu'en misant sur la confiance, la coordination et l'innovation, nous pouvons améliorer l’accès aux soins de manière pérenne et efficace. Le débat autour de l’évolution de l’installation doit s’appuyer sur une approche fine et concertée, respectueuse des réalités du terrain et des aspirations des jeunes générations.
Le temps est à la construction, pas à la coercition. Pour garantir l’accès aux soins de tous, partout, faisons le choix de l’efficacité et du dialogue, plutôt que de la contrainte.
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