Comme en France, l’Italie est confrontée au dilemme du recours aux médecins intérimaires pour compenser la pénurie de praticiens dans les hôpitaux. Depuis plusieurs semaines, la communauté italienne s’interroge sur cette pratique qui met à mal les finances des établissements de santé publics et peut être source d’erreurs médicales, voire de drames.
À l’origine de cette réflexion générale se trouve le décès en octobre d’une Italienne de 14 ans, transportée aux urgences de l’hôpital de Padoue (Vénétie) après avoir été renversée par une voiture. Selon les déclarations de deux infirmières, la médecin de garde aurait été incapable d’effectuer les gestes de réanimation cardiopulmonaire qui auraient pu sauver la vie de l’adolescente. L’enquête a finalement révélé que cette médecin n’était pas spécialisée en médecine d’urgence mais en néphrologie et qu’elle était rétribuée par une coopérative médicale sous contrat avec l’hôpital.
Surcoûts de 1,7 milliard d’euros
En l’absence de données précises sur le nombre réel de soignants intérimaires – praticiens et infirmiers – dans le service public hospitalier italien, certains syndicats de médecins comme Anaao-Assomed et CIMO-Fesmed brossent quelques estimations en partant du nombre de démissions. Durant les quatre dernières années, 8 500 médecins hospitaliers ont choisi de jeter l’éponge avant l’âge légal de départ en retraite.
Pour le Dr Pierino Di Silverio, secrétaire national de Anaao-Assomed, une grande partie de ces praticiens a rejoint le circuit des 30 coopératives spécialisées dans l’intérim médical nettement plus attractif au niveau des rétributions et plus intéressant au niveau des horaires. Selon les chiffres avancés par certains experts du secteur hospitalier, 10 000 médecins intérimaires seraient actuellement en mission dans le public contre à peine 3 000 il y a cinq ans. Cette véritable armée mexicaine engendre des surcoûts majeurs, ces praticiens percevant en moyenne 800 à 900 euros pour une journée de travail quand leurs confrères titulaires avec 20 ans d’ancienneté sont payés huit fois moins. Un rapport rédigé par l’Agence nationale italienne anticorruption (Anac) affirme que ce phénomène a engendré pour les régions une dépense supplémentaire dans les hôpitaux italiens de 1,7 milliard d’euros durant les cinq dernières années.
Accusées de gaspillage, certaines régions se retranchent derrière les difficultés de recrutement dans les hôpitaux pour justifier leur politique et programment désormais des appels d’offres, en particulier dans les services d’urgences, en proposant aux coopératives des contrats de trois ans. « Visiblement, le recours aux médecins intérimaires fait désormais partie de la normalité », note Giuseppe Milanese, président de Confcooperative Sanità, la confédération des coopératives de médecins, pharmaciens et des sociétés spécialisées dans la santé.
Manque de préparation et dérives
Les coopératives proposent aux médecins des missions là où les besoins sont les plus criants : médecine générale, anesthésie et réanimation, pédiatrie, radiologie, etc. Mais, faute de contrôle et de traçabilité, déplore le syndicat de médecins CIMO-Fesmed (qui représente plus de 14 000 praticiens et médecins cadres), un dentiste peut se retrouver aux urgences et un pneumologue en cardiologie pour des durées de travail qui dépassent largement le cadre légal. « Personne ne contrôle les entrées et les sorties des médecins intérimaires qui arrivent aux urgences tardivement, par exemple après 18 heures. Ils peuvent tranquillement effectuer des dépassements d’horaire pour gagner plus en peu de temps. Cette pratique donne lieu à des accidents en raison de la fatigue accumulée », déplore le Dr Guido Quici, président de CIMO-Fesmed.
Dans une enquête effectuée à l’automne 2022, la police sanitaire a découvert la présence de médecins non spécialisés aux urgences et de praticiens incapables d’effectuer une césarienne en service de gynécologie-obstétrique.
Pour enrayer le recours systématique aux soignants intérimaires et encadrer ce phénomène dans les régions les plus touchées comme la Vénétie, le ministère de la Santé a introduit des limites au niveau des rétributions. Ainsi, les médecins urgentistes et les anesthésistes ne pourront plus toucher plus de 85 euros de l’heure et les infirmiers des urgences 28 euros. Par ailleurs, les structures publiques pourront accueillir des intérimaires seulement en cas de nécessité et d’urgence pour une durée maximum d’un an. Ces missions ne pourront pas être renouvelées. Enfin, le temps de travail sera de 48 heures par semaine avec une pause obligatoire de 11 heures entre deux tours de garde. Seul problème : il va falloir organiser des contrôles. Ce qui est loin d’être gagné.
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