Après Clear : la colchicine, échec mais pas mat

Publié le 04/07/2025
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La place de la colchicine en post-infarctus est remise en cause par l’essai Clear Synergy. Mais sans doute faudrait-il déjà la prescrire, comme c’est recommandé, en attendant une clarification nécessaire. Car ce qui est avéré à ce jour est l’inertie dans la prescription d’un médicament pourtant efficace et bien connu des médecins.

Effet de la colchicine dans l’étude Clear Synergy, courbes des événements de Kaplan-Meier sur le critère primaire

Effet de la colchicine dans l’étude Clear Synergy, courbes des événements de Kaplan-Meier sur le critère primaire
Crédit photo : DR

La colchicine est un traitement anti-inflammatoire connu depuis plus de deux siècles, peu coûteux, utilisé depuis des décennies dans le traitement de la goutte, de maladies chroniques, mais aussi en cardiologie, dans la péricardite aiguë. Elle intervient sur de nombreux processus cellulaires, notamment la fonction de l’inflammasome, la libération de cytokines et la phagocytose au sein de la plaque d’athérosclérose.

Elle a montré, à 0,5 mg par jour, une réduction significative du critère de jugement principal chez des patients coronariens stables dans l’étude LoDoCo2 (1) – et après infarctus du myocarde dans l’étude Colcot (2).

La colchicine est bien indiquée en post-infarctus

Cela explique que les sociétés savantes recommandent l’utilisation de la colchicine chez les coronariens, à sa faible posologie et en respectant les contre-indications. Malgré ces preuves, elle est peu utilisée, en particulier en France, où elle pâtit d’une mauvaise réputation, principalement concernant sa tolérance digestive. L’absence de diffusion par des réseaux industriels n’aide sans doute pas non plus.

La voie de l’inflammation

La première démonstration qu’agir sur l’inflammation réduit les événements cardiovasculaires a été faite en 2017, avec l’étude Cantos, sur un anticorps monoclonal humain inhibant l’IL-1b, le canakinumab. Il avait permis de réduire les événements cardiovasculaires après infarctus du myocarde de 15 %.

Un vieux médicament efficace mais que personne n’a d’intérêt à défendre

Des résultats neutres sur le critère principal

Mais le manque d’enthousiasme s’est mué en défiance avec l’étude Clear Synergy qui évaluait, chez les patients présentant un infarctus aigu du myocarde traités par angioplastie, d’une part la colchicine pour sa capacité à réduire les événements athéroscléreux récurrents, et d’autre part la spironolactone avec un critère composite d’insuffisance cardiaque (IC) et d’événements athéroscléreux (3). Nous n’aborderons pas ce deuxième aspect ici.

Concernant la colchicine, le critère composite principal comprenait : décès cardiovasculaire, récidive de l’infarctus du myocarde, AVC ou revascularisation non planifiée.

Entre février 2018 et novembre 2022, l’essai a recruté 7 062 participants provenant de 104 centres dans 14 pays (dont environ 2 500 dans quatre sites en Macédoine). L’âge moyen des patients était de 61 ans et 20 % étaient des femmes.

L’étude est neutre sur le critère principal : HR = 0,99 ; IC95 % [0,85-1,16], p = 0,93 (voir figure). Parmi les résultats secondaires, on peut souligner la bonne tolérance, mais aussi la réduction des décès non cardiovasculaires dans le groupe colchicine par rapport au placebo : HR = 0,68 IC95 % [0,46-0,99].

Redosage et ré-échantillonnage

La posologie de la colchicine utilisée dans cet essai était initialement fondée sur le poids, les patients pesant 70 kg ou plus recevant la dose de 0,5 mg deux fois par jour pendant les trois premiers mois. Donc, pour rappel, le double des études Colcot et LoDoCo2.

Après une analyse intermédiaire, montrant des taux d’arrêt de traitement plus élevés que prévu, le dosage a été revu pour une administration quotidienne de colchicine pendant toute la période de traitement, indépendamment du poids corporel.

Puis, en raison d’un taux d’événements plus bas que prévu, la taille de l’échantillon a été augmentée, de 4 000 à 7 000 patients, pour maintenir une puissance d’étude de 80 %, et le suivi a été prolongé pour un suivi médian estimé à 3,5 ans.

Une perturbation par la pandémie

Alors que les données anciennes (spironolactone) et récentes (colchicine) laissaient attendre des résultats positifs, l’étude cumule les déceptions. Comment l’expliquer ? Outre les questions soulevées précédemment, soulignons la réduction de 22 % de l’incidence des événements du critère principal avant la pandémie. Cet effet a été perdu pendant la pandémie, avec une interaction entre la phase Covid-19 et l’effet du traitement (p < 0,10).

La relation inversée entre l’incidence des IM non fatals et des décès toutes causes dans Clear Synergy est cohérente avec l’impact bien connu du Covid-19 : d’abord sur la prise en charge des patients, puis la sous-déclaration des événements dans la recherche. Dans certaines études, des sous-déclarations majeures, proches de 60 %, ont été rapportées, ce qui pourrait largement expliquer la perte de l’efficacité relevée pendant la pandémie.

(1) Nidorf SM et al. N Engl J Med. 2020 Nov 5;383(19):1838-47
(2) Tardif JC et al. N Engl J Med. 2019 Dec 26;381(26):2497-505
(3) Jolly SS et al. N Engl J Med. 2025 Feb 13;392(7):633-42

Pr François Roubille, PhyMedExp, Inserm, CNRS, département de cardiologie, INI-CRT, univ. de Montpellier, CHU de Montpellier

Source : Le Quotidien du Médecin