Les Européens recommandent une dose de 81 mg par jour (mg/j) d'aspirine en prévention secondaire chez les patients souffrant de maladie cardiovasculaire. Mais outre-Atlantique, les recommandations sont plus floues, la posologie recommandée allant de 81 à 325 mg/j. En effet, les données solides permettant de trancher font défaut. Afin d’apporter un nouvel éclairage, une vaste étude américaine, présentée au congrès de l'ACC (1) et publiée dans le New England Journal of Medecine (2), a été menée en vraie vie…
Plus de 15 000 sujets inclus
L’étude ADAPTABLE a randomisé plus de 15 000 patients présentant une maladie cardiovasculaire (antécédents d'infarctus du myocarde [IDM], de revascularisation, de sténose à l'angiographie, de cardiopathie ischémique chronique, ou de maladie coronaire) et un autre facteur de risque (âge, diabète, tabagisme, hypertension artérielle, hyperlipidémie, accidents vasculaires cérébraux [AVC], artériopathie obstructive des membres inférieurs, insuffisance cardiaque…).
Recrutés dans 40 centres américains, ils ont un âge moyen de 67 ans, 30 % sont des femmes. Parmi eux, un tiers a eu un infarctus et la moitié une revascularisation dans les 5 ans. Avant l'inclusion, 96 % étaient déjà sous aspirine, dont les quatre cinquièmes (80 %) à la dose de 81 mg/j. Par ailleurs, 20 % sont sous bithérapie antiplaquettaire, très majoritairement aspirine/clopidogrel.
Randomisés en deux bras, les patients recevaient soit 81 mg/j, soit 325 mg/j d’aspirine. Le critère primaire d'efficacité de cette étude ouverte associe les décès toutes causes, les IDM et les AVC. Le critère primaire de sécurité porte sur les hospitalisations pour hémorragies majeures avec nécessité de transfusion.
Pas de bénéfices à 325 mg/j
Après un suivi de deux ans, aucune différence significative n’est observée sur les évènements du critère primaire d’efficacité : 7,28 % dans le bras 81 mg/j versus 7,51 % à 325 mg/j (RR = 1,02). Les taux d'IDM et d'AVC pris séparément sont eux aussi identiques dans les deux bras. « Cette absence de bénéfice sur les évènements thrombotiques majeurs est homogène dans tous les sous-groupes, soulignent les auteurs. Une analyse basée sur la dose réelle utilisée par le patient suggère néanmoins un risque un peu plus élevé de décès, IDM et AVC chez les sujets sous 81 mg d’aspirine comparés à ceux sous 325 mg (RR = 1,25 ; 1,1-1,4). Mais, on ne peut s'y fier car toute analyse post-randomisation est porteuse de biais intrinsèques ».
Les hospitalisations pour hémorragies majeures, à deux ans, ont concerné 0,63 % (bras 81 mg/j) versus 0,60 % (bras 325 mg/j) des patients (RR = 1,18, NS). « L'absence de différence en termes d'hémorragies peut surprendre, mais il manque les données concernant les hémorragies mineures », nuancent les auteurs.
Une moins bonne adhésion des patients
De nombreux patients inclus ne sont pas restés à la posologie attribuée. Dans le bras 325 mg/j, 11 % ont arrêté et 42 % ont changé pour une dose à 81 mg/j. Alors que dans le bras 81 mg/j, 7 % ont stoppé le traitement et seulement 7 % ont changé. La médiane de durée du traitement s’avère ainsi plus faible à 325 mg/j que sous 81 mg/j (434 jours versus 650).
« Ces changements de dosage sont probablement liés au fait qu'initialement une majorité des sujets était sous 81 mg/j. Ils peuvent aussi être dus aux préférences des patients, des médecins ou à la survenue de saignements mineurs (non recensés dans l'étude). Cela témoigne néanmoins d'une moins bonne adhésion, dans la vraie vie, à la dose de 325 mg/j, expliquent les auteurs. On ne peut pas écarter que ces changements aient pu réduire la puissance de l'étude. Mais globalement, ADAPTABLE n'est pas en faveur du recours à une dose de 325 mg/j ».
(1) Jones WS et al. Late Breaking I, 15 mai, ACC 2021
(2) Jones WS et al. NEJM 2021; DOI: 10.1056/NEJMoa2102137
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