LA PLUPART DES inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des inhibiteurs du cytochrome CYP2C19. Ils sont donc susceptibles de réduire l’activation métabolique du clopidogrel, puisque cette molécule est principalement métabolisée par ce cytochrome. Par ailleurs, le cytochrome CYP2C19 intervient dans le métabolisme de certains inhibiteurs de la pompe à protons, essentiellement l’oméprazole et le lansoprazole. L’administration de ces IPP avec le clopidogrel pourrait donc induire une inhibition compétitive de ce cytochrome et entraver la formation du métabolite actif de cet antiagrégant et être associée à une diminution de son efficacité.
Plusieurs études ont en effet montré que l’oméprazole diminue l’effet antiagrégant plaquettaire du clopidogrel. Il revient à P. Moceri et coll. d’avoir montré en 2009 que l’oméprazole diminue la réponse biologique au clopidogrel (1). Ce travail confirmait ainsi l’étude OCLA, réalisée par M. Gilard et coll., qui a montré que l’oméprazole réduit significativement l’effet inhibiteur du clopidogrel d’après les résultats d’un test in vitro très spécifique (2).
Les données des registres sont discordantes.
L’étude des registres de patients permet de tenter de se faire une opinion quant au risque clinique. L’analyse de trois grands essais cliniques par JA Rassen et coll. confirme l’existence possible d’un effet clinique, sans toutefois que la preuve n’en soit obtenue (3). Cette analyse portait sur le risque d’infarctus myocardique, d’hospitalisation ou de décès chez des sujets âgés. Si l’excès de risque clinique est bien réel, selon les auteurs, il est alors de l’ordre de 20 %.
Un travail publié par PM Ho et coll. en 2009 a montré que la prise concomitante de clopidogrel et d’un IPP après une hospitalisation pour syndrome coronaire aigu était associée à une aggravation du pronostic évalué à27 % (4).
Les résultats de l’étude COGENT, présentés par D. Bhatt en septembre 2009, ont été publiés en novembre 2010 (5). Il s’agit d’un essai clinique randomisé contrôlé qui a porté sur 3 627 patients devant être traités par clopidogrel durant au moins 12 mois. La durée de la période de suivi a été de 133 jours en moyenne, avec un suivi maximum de 362 jours. Ce travail a confirmé que les complications hémorragiques gastro-intestinales sont réduites de 45 % (p = 0,007) en cas de traitement par oméprazole par comparaison avec le groupe sous placebo. Il a également mis en évidence l’absence de différence entre les deux groupes, avec et sans oméprazole, en termes d’événements cardio-vasculaires, au nombre de 67 dans le groupe placebo et de 69 dans le groupe oméprazole. Les courbes d’incidence de ces événements dans les deux groupes de l’étude sont par ailleurs superposées.
E. Ferrari a souligné les limites de l’étude, notamment la comparaison du nombre de participants réels à l’étude avec celui des patients inclus, le faible nombre de patients en insuffisance coronaire aiguë, inférieur à 50 %, ou la définition du critère principal de jugement, incluant les revascularisations en dehors des cas de thrombose d’endoprothèse. Cela ne permet donc pas d’éliminer de manière formelle l’existence d’un excès de risque clinique lié à la coprescription de clopidogrel et d’un IPP.
L’avis de l’AFSSAPS.
Une méta-analyse méthodique de la littérature, très récente, plaide en faveur d’un excès de risque dans ce contexte (6). Les auteurs constatent des discordances dans les données de la littérature et les expliquent par des différences cliniques ou des niveaux de risque différents.
Ainsi, des réserves ont été émises sur l’association clopidogrel-inhibiteur de la pompe à protons par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Celle-ci a précisé que « plusieurs études cliniques récemment publiées ont suggéré une interaction possible avec les inhibiteurs de la pompe à protons pouvant diminuer l’efficacité du clopidogrel. La prise concomitante de clopidogrel et d’IPP doit être évitée, sauf en cas de nécessité absolue. » Ces réserves semblent justifiées par les données biologiques constatées, mais la relation avec le risque d’événement clinique reste difficile à démontrer. Il concerne en tout état de cause les patients à haut risque. De plus, l’interaction biologique évoquée n’a pas été décrite pour le pantoprazole.
D’après la communication d’Emile Ferrari, Nice.
(1) Moceri P, et coll. Congrès de la Société Européenne de Cardiologie, Barcelone, 2009 (abs. 895).
(2) Gilard M, et coll. J Am Coll Cardiol 2008 ; 51 (3) : 256-60.
(3) Rassen JA, et coll. Circulation 2009 ; 120 (23) : 2322-9.
(4) Ho PM, et coll. JAMA 2009 ; 301 (9) : 937-44.
(5) Bhatt DL, et coll. N Engl J Med 2010 ; 363 (20) : 1909-17.
(6) Hulot J, et coll. J Am Coll Cardiol 2010 ; 56 (2) : 134-43.
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