Le 19 novembre dernier, les chercheurs rassemblés par l'Institut de recherche pour le développement (IRD) ont présenté, à l’Académie des sciences d’Outre-mer, les principales données et conclusions de son expertise scientifique collective « Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’Outre-mer ».
Ce travail, commandé par la Direction générale de la santé, doit servir de base à une déclinaison du Programme national nutrition santé (PNNS) 2019-2023 pour l'Outre-mer. Il dresse le portrait d'une population sous les feux croisés de la précarité, d'une offre de soins insuffisamment adaptée aux problématiques de la nutrition et d'un accès économique difficile à une alimentation équilibrée.
Les taux cumulés de surpoids et d’obésité sont systématiquement plus élevés qu’en France métropolitaine. En Martinique, par exemple, 33 % des femmes et 21 % des hommes sont en situation d’obésité. à Mayotte, près de la moitié des femmes (47 %) sont concernées. Si les situations divergent entre les territoires, certains constats restent transversaux : « des prévalences très élevées d’obésité, d’hypertension (jusqu’à 45 %) et de diabète (jusqu’à 15 %), doublées de fortes inégalités sociales de nutrition et en particulier chez les femmes », résume Caroline Méjean, épidémiologiste et directrice de recherche à l’INRA, (unité MOISA, SupAgro Montpellier) qui a coordonné l’expertise.
Il existe en effet des différences de prévalence d’obésité de l’ordre de 20 points entre les femmes ayant les niveaux socio-économiques les plus hauts et celles ayant les plus faibles. En Martinique, 49 % des femmes bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) sont obèses, contre 27 % chez celles qui n’en sont pas bénéficiaires. « En Métropole, la différence est de l’ordre de 10 points », précise Caroline Méjean. De fortes différences sont également observées en ce qui concerne le diabète : 10 à 20 % selon les territoires. « Je ne m’attendais pas à de tels écarts ! », s’étonne Caroline Méjean.
Offre de soins insuffisante
L’autre message est que les effets des inégalités sociales sur la prévalence des maladies métaboliques sont potentialisés par une démographie médicale dégradée et très inégale. « Le recours aux soins liés aux pathologies de la nutrition est insuffisant face aux besoins des régions ultramarines », peut-on lire dans l’expertise collective. Le renoncement aux soins pour cause de précarité ou d’éloignement géographique, touche plus d’une personne sur dix en Guadeloupe, une sur cinq en Martinique et plus d’une sur trois en Guyane.
Pour améliorer la situation, « il faut composer avec les atouts locaux, précise Caroline Méjean. Dans l’ensemble, l’offre en médecins généralistes est déficitaire, mais il y a une forte densité en infirmiers. En Guyane, il existe un réseau de centres délocalisés de prévention et de soins, et à Mayotte, les dispensaires de proximité. On peut donc réfléchir à une délégation des tâches, notamment en ce qui concerne le dépistage des maladies chroniques. »
Une qualité nutritionnelle en défaut
Les départements et régions d’Outre-mer (DROM) importent 80 à 90 % de leurs denrées alimentaires, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur prix - l’offre alimentaire est entre 20 et 38 % plus chère en moyenne qu’en métropole - et sur l’adéquation aux repères nutritionnels. Ainsi, un métropolitain consomme en moyenne 190,1 g/j de produits laitiers, contre 145,4 (Martinique) à 180 (Mayotte) dans les DROM. En ce qui concerne les fruits et légumes, un Français vivant dans l’Hexagone en consomme 402,2 g/j contre 325,4 en Martinique, 342,2 à La Réunion, 362,9 en Guadeloupe et 381 à Mayotte. Le constat est inversé pour les boissons sucrées : 39 g/j en métropole contre 52,4 (La Réunion) à 69 g/j (Guadeloupe).
Des dispositifs locaux comme l’octroi de mer compliquent encore la situation. La raison d’être de cette taxe est de favoriser la consommation de produits locaux, mais elle a quelques effets pervers, comme l’illustre Caroline Méjean : « en Martinique, les importations de poissons et de produits de la mer sont fortement taxées, avec des taux d’octroi très élevés, ce qui rend ces produits dont la consommation est fortement recommandée par le PNNS, difficilement accessible », explique-t-elle. Dans ses recommandations, l’expertise collective suggère d’intégrer des objectifs de santé publique dans les dispositifs fiscaux spécifiques et de promouvoir une production locale, agricole et transformée, par une politique volontariste de bonne qualité.
Promouvoir des recherches sur ces politiques et leurs effets est d’ailleurs une recommandation forte des experts. « On manque aussi de données épidémiologiques, insiste Caroline Méjean. Par exemple, nous disposons d’un faisceau de présomptions en faveur d’une plus grande sédentarité des jeunes (équipements sportifs rares, aménagement urbain peu adapté à la marche et au vélo etc.) mais pas de données pour le prouver. » En Guyane, aucune donnée n’existe concernant la consommation alimentaire et l’état nutritionnel de la population. À Mayotte, la dernière grande enquête épidémiologique sur la nutrition, l’étude Nutrimay, date de 2006.
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