PAR LE Dr MARIETTE GERBER * ET LE Pr XAVIER HÉBUTERNE **
LE DÉVELOPPEMENT des compléments alimentaires (CA) résulte d’une conjonction d’éléments, d’ordre scientifique - les premières études épidémiologiques sur la relation entre l’alimentation et la santé qui se sont concentrées sur l’effet d’un seul nutriment- ; d’ordre sociétal - la préoccupation de nombre d’individus pour leur santé-, et le dernier d’ordre économique : la perspective d’un marché florissant (20 % des adultes en France consomment des CA).
Selon la réglementation européenne (Directive 2002/46/CE) qui régit leur mise sur le marché, les CA sont « des denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal », donc soumis au régime de la libre circulation des marchandises. Étant considérées comme telles, « elles n’ont pas à faire la preuve de leur efficacité et de leur utilité » (Communication du syndicat des fabricants de produits naturels, diététiques et compléments alimentaires, Synadiet). Ainsi, de complément pour compenser les insuffisances d’apport d’origine physiologique (par exemple, le grand âge, la préconception) ou pathologique (cancers, maladies intestinales, alcoolisme chronique, porteurs de bypass gastrique), on peut passer, sans enfreindre le règlement, à une utilisation dite de “confort” sans réelle utilité ou efficacité.
La seule limite à leur diffusion dans la Communauté des 27 peut être la démonstration de toxicité y compris du risque carcinogène. Cependant ces études sont réalisées sur des modèles in vitro ou in vivo qui ne reflètent pas forcément la complexité de l’organisme humain et les différentes réponses qu’un « supplément » d’un micronutriment ou microconstituant peut évoquer dans certaines situations (ex : état précancéreux). Il a fallu des études d’intervention chez l’homme pour démontrer qu’un supplément de ß- carotène pouvait faciliter l’apparition de cancers, chez des fumeurs ou des ouvriers exposés à l’amiante. Or, si généralement les personnes prenant des compléments alimentaires sont des personnes en bonne santé, soucieuses de la conserver, on a pu observer que certaines populations, jeunes étudiants, fumeurs, consommaient également des CA (1). C’est ainsi que le rapport du World Cancer Research Fund, recommande de ne pas consommer de CA contenant du ß- carotène pour prévenir les cancers (2). Mais une dernière étude a également montré des résultats inquiétants avec des suppléments de sélénium et de vitamine E (3). Ce type de supplémentation peut également être délétère dans le cas de patients cancéreux, en phase de rémission ou de progression. Devant ce risque, les principes de santé publique demandent que la pertinence et la nécessité de cette supplémentation soit démontrée.
Cette situation, d’une part le réel besoin de CA dans les états déficitaires et, d’autre part, le risque potentiel des « supplémentations » nous a conduit, à faire les constats suivants :
1- dans le cas où la personne présente une insuffisance d’apport d’origine physiologique ou pathologique, le complément répondra à sa fonction de compléter un manque et sera conseillé par un professionnel de santé. La nécessité de son remboursement lorsque le patient est hors de l’hôpital devrait être évaluée.
2- dans les situations où le CA est en fait un apport nutritionnel supplémentaire “de confort”, l’apport du nutriment ou microconstituant par le CA doit rester en deçà de la limite de toxicité, en tenant compte de l’apport alimentaire normal. On peut connaître par les études nationales de consommation, telles INCA2 en France (www.afssa.fr), la consommation qui viendra s’ajouter à la dose préconisée pour le CA. Sur le plan individuel, le professionnel de santé peut s’aider de marqueurs validés pour définir le statut nutritionnel du consultant. La limite supérieure de sécurité doit être assurée par des tests prenant en compte les enseignements des études récentes (recherche du pouvoir oxydant des antioxydants, interférence avec des carcinogènes environnementaux) afin de définir la dose seuil sans effet délétère observé.
Ces constats ont conduit à proposer à la réflexion des acteurs de santé publique et de mise en uvre des soins une première mesure immédiatement applicable dans le cadre de la réglementation actuelle : mettre en uvre la juste et pertinente évaluation de la toxicité des CA, en tenant compte des connaissances récentes sur les risques carcinogènes de la supplémentation. Notons que l’AFSSA a mis en place un dispositif national de vigilance (www.afssa.fr).
Ensuite, nous avons proposé des mesures qui s’inscrivent dans une évolution de la réglementation que nous jugeons souhaitable : la démonstration de la pertinence et de la nécessité de la mise sur le marché de compléments alimentaires destinés à la population générale ou à des sous-groupes de population (femmes enceintes, personnes âgées etc.) et le remboursement des compléments alimentaires prescrits par un professionnel de santé dans le cadre d’une pathologie avérée.
Enfin, nous avons proposé des pistes de recherche et d’innovation : le développement de tests de toxicité pertinents et d’études cliniques mesurant l’efficacité alléguée des CA, et l’amélioration de l’acceptabilité des compléments nutritionnels destinés aux patients.
*Présidente de la Société Française de Nutrition.
**Président de la SFNEP (Société francophone nutrition clinique et métabolisme)
Références
1-Scali J, Richard A And Gerber M. Diet profiles in a population sample from Mediterranean Southern France. Public Health Nutrition 2001,4, 173-182.
2-World Cancer Research Fund/American Institute for Cancer Research. 2007 Food nutrition, Physical activity and the prevention of cancer : a global perspective. Washington DC : AICR.
3-Lippman SM, Klein EA, Goodman PJ, et coll. Effect of selenium and vitamin E on risk of prostate cancer and other cancers. JAMA. 2009;301(1):39-51.
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