Trois multinationales, Shell Oil Company Corporate, The Dow Chemical Compagny et Occidental Chemical Corporation, ont été assignées mardi devant le tribunal de grande instance de Paris par 1 234 victimes d’un de leurs produits phytosanitaires, le dibromo-chloropropane (DBCP).
Cette affaire est marquante non seulement par le nombre de plaignants mais aussi par l’attitude particulièrement peu scrupuleuse des industriels. Les victimes sont des ouvriers agricoles nicaraguayens et le jugement a déjà été rendu au Nicaragua. C’était il y a 16 ans et, depuis, pas un cent des 805 millions de dollars d’indemnités accordés n’est parvenu aux victimes qui souffrent d’infertilité ou de cancers suite à la manipulation du DBCP. De fait, les trois industriels condamnés ont refusé de verser les indemnités et ont quitté le pays après avoir exploité l’ensemble des recours juridiques disponibles, rendant toute saisie de leurs actifs impossible.
Exécuter le jugement en Europe
Pour obtenir réparation, les victimes du DBCP en passent aujourd’hui par la justice française, via une procédure assez courante dite d’exequatur. Son intérêt ? Si ce procès se conclut favorablement, « le jugement rendu au Nicaragua pourra être exécuté dans n’importe quel pays de l’Union européenne et les biens des trois multinationales saisis », explique la bâtonnier Pierre-Olivier Sur, avocat des plaignants avec trois confrères américains et nicaraguayens. Ces derniers justifient le choix de la France par la proximité de notre code civil avec celui du Nicaragua qui s’en est inspiré.
Les victimes nicaraguayennes ne sont pas un cas isolé. Des procédures sont en cours au Costa-Rica, au Guatemala, au Honduras et toutes concernent des ouvriers exposés au dibromo-chloropropane. Cette molécule volatile et persistante a été développée en 1955 aux États-Unis. Dès 1958, avant même sa commercialisation, la société Shell Development Company faisait état d’une toxicité importante chez le rat : elle affecte les testicules, le système rénal et est très cancérogène. Des résultats similaires ont été obtenus par la Dow Chemical Company qui en est « très contrariée », écrit la même année un manager de Shell dans un courrier versé au dossier des plaignants. Un travail sur les doses et la formulation permet néanmoins aux industriels d’obtenir une autorisation de mise sur le marché de la part de l’administration américaine.
Stérilité masculine
Le produit, vendu sous le nom de Nemagon ou de Fumazon, est dès lors utilisé aux États-Unis et dans les Caraïbes, notamment dans les bananeraies. Pulvérisé ou mélangé à l’eau d’irrigation, il se diffuse dans le sol et tue les vers parasites. Les ouvriers agricoles le manipulent à main nue, le respirent lors des pulvérisations. Les femmes en ont sur les mains lorsqu’elles nettoient les bananes. Mais « dès les années 1970, les employés américains des usines de fabrication du Nemagon et du Fumazon font une observation inquiétante : nombre d’entre eux ne parviennent pas à avoir d’enfant, note Alfred Bernard, directeur de recherche à l’Université de Louvain, en Belgique. Des études confirment que l’exposition au DBCP augmente les risques de cancer et de stérilité masculine par destruction des tubes séminifères. Les dommages sont proportionnels à la durée d’exposition et à la concentration de la molécule dans l’air. »
Rentabiliser les stocks
En 1979, l’utilisation du DBCP est interdite sur le sol américain. Mais les entreprises sont autorisées à revendre les stocks restant à l’étranger. C’est ce qui sera fait jusqu’en 1983 en Amérique du Sud et aux Caraïbes, « sans que les industriels ne mentionnent ni les risques sanitaires de ce pesticide ni l’importance de s’en protéger via le port de masques et de vêtements adéquats », observe l’avocat américain Robert McKee. Il appuie ses propos d'un document glaçant : un mémo de l’Occidental Petroleum Corporation datant de 1978. Il explique comment calculer la rentabilité de l’écoulement des stocks de DBCP en tenant compte du nombre d’ouvriers qui seront exposés au pesticide, du nombre de ceux qui en contracteront une stérilité ou un cancer et du nombre de victimes qui porteront plainte.
« Avec ce dossier dont le jugement devrait être rendu courant mars, nous comptons montrer la voie en matière d'indemnité », note le bâtonnier Pierre-Olivier Sur, avec en ligne de mire un « dossier miroir, d'une grande similitude », celui du chlordécone. La toxicité de ce pesticide a poussé la France à en interdire l'usage en 1989, mais des dérogations l'ont autorisé dans les bananeraies guadeloupéennes et martiniquaises jusqu'en 1993.
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