L'alimentation d'une population donnée dépend grandement de sa culture et de son histoire. Dans le cadre de travaux (1) d'analyse comparative de la restauration collective en France et en Angleterre effectués entre 1999 et 2006 avec Cyrille Laporte -professeur à l'Institut Supérieur du Tourisme de l’Hôtellerie et de l’Alimentation (ISTHIA), Jean-Pierre Poulain (sociologue de l'alimentation, Chair of Food Studies Taylor’s Toulouse University Center Toulouse-Kuala Lumpur) observe une « désynchronisation des repas en Angleterre alors qu'en France, la population continue à opter pour des repas pris à des horaires précis, au même moment » (2).
En France, la dimension sociale des repas reste très présente : la commensalité est une valeur largement partagée lorsqu'il s'agit de s'alimenter au sein de la sphère privée, mais aussi, professionnelle. L'avènement de la restauration collective dans les entreprises illustre bien les différences de perception de l'alimentation entre le Royaume-Uni et la France. « Si en Angleterre, les différents acteurs sociaux ont défini un montant de tickets restaurants relativement bas qui permet au salarié de s'acheter un sandwich et une boisson ; en France, le montant négocié prend pour référence le fait de s'offrir un repas composé d'une entrée, d'un plat et d'un dessert. De plus, alors que les Anglais ont privilégié la restauration commerciale, la France s'est dotée d’équipements de restauration collective. C’est ainsi que plus de 65 % des repas sont pris chez nous au sein même de l'entreprise (dans les cantines). Le système anglais a favorisé le ticket restaurant et la restauration commerciale. Il a, ainsi, accéléré l’individualisation du rapport à l'alimentation », note Jean-Pierre Poulain.
Le repas pris en commun -caractéristique du mode alimentaire français- favorise la convivialité, mais peut avoir, dans certains contextes, des effets délétères. « Si deux individus qui vivent ensemble n’ont pas les mêmes facteurs de risques (cholestérol, diabète…), comment feront-ils pour manger du cassoulet ensemble ? », note Jean-Pierre Poulain.
S'alimenter pour se soigner
De nos jours, avec les progrès de la médecine moderne, les maladies épidémiques qui sont, désormais, assez bien maîtrisées ont laissé la place aux maladies non-communicables (cancers, pathologies cardiovasculaires et de dégénérescence) dans les populations occidentales. Un phénomène de « transition épidémiologique » s’est opéré en Europe, entraînant un changement radical du statut de l’alimentation qui s’est trouvée projetée sur le devant de la scène comme une cause et donc un levier de la prévention. De surcroît, l’alimentation quotidienne s’est considérablement enrichie (viande, matières grasses…).
Le développement de l'obésité, des maladies métaboliques et cardiovasculaires change la donne. La question de l'alimentation s'installe, désormais, dans la longue durée. « Ce que l'on mange durant les 40 premières années de la vie a un impact sur notre santé future. Et, lorsque les pathologies chroniques sont installées dans la seconde partie de la vie, l’alimentaire fait alors partie de la prise en charge. De fait, en 2050, 30 % de la population française aura plus de 55 ans. Aujourd'hui, par exemple, 7 millions de Français consomment des statines et 6 millions ont des problèmes liés au cholestérol », souligne Jean-Pierre Poulain. Cette population qui bénéficie de conseils nutritionnels ne cesse d'augmenter. « Nous observons la même évolution concernant les autres maladies chroniques. L'alimentation est devenue un élément à part entière de la prise en charge des patients. Sa médicalisation est une tendance lourde et pérenne. Nous ne sommes, d'ailleurs, qu’au début de la médicalisation de l’alimentation », conclut Jean-Pierre Poulain.
(1) Cyrille Laporte &
Jean-Pierre Poulain, « Restauration d’entreprise en France et au Royaume‑Uni. Synchronisation sociale alimentaire et obésité », Ethnologie Française, PUF, XLIV, 2014, 1, p. 861-872
(2) Jean-Pierre Poulain, 2017 Sociologie de l’alimentation, PUF.
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