L’épidémiologie de la dépression résistante reste mal connue en France. « Selon le Système national des données de santé (SNDS), son incidence serait très faible, ce que contredit la littérature internationale, qui rapporte un taux de 20 % environ. La vérité est sans doute entre les deux, mais il serait utile de développer des enquêtes épidémiologiques pour avoir des données plus précises », estime le Pr Emmanuel Haffen (CHRU de Besançon), avant de rappeler qu’en cas de non-réponse au traitement, il faut en premier lieu s’assurer de la réalité de la résistance. Cela implique de vérifier la qualité de la prescription – à une bonne posologie pendant une durée suffisante d’au moins 6 à 8 semaines – et celle de l’observance (prise d’au moins 80 % des doses). Il faut également confirmer le diagnostic de dépression unipolaire, pas toujours facile à différencier d’un épisode dépressif bipolaire, notamment en cas de troubles bipolaires de type 2 ou d’épisode inaugural. Il est par ailleurs important d’être très attentif aux éléments atypiques chez l’adulte jeune, car des symptômes dépressifs peuvent accompagner une entrée à bas bruit dans la schizophrénie. De même, certains symptômes des troubles borderline peuvent mimer une dépression, ou y être associés. « Tout échec de deux traitements antidépresseurs successifs bien conduits – qui définit la dépression résistante – doit ainsi conduire à reconsidérer le diagnostic et à rechercher une comorbidité, telle que des troubles de la personnalité, des conduites addictives ou des maladies somatiques (diabète, hypothyroïdie, maladie neurologique, etc.) », souligne le Pr Haffen.
Des stratégies plus complexes
Lorsque la résistance au traitement est avérée, il importe de définir le niveau de résistance. Soit de façon quantitative, en tenant compte du nombre d’échecs à différentes lignes de traitements antidépresseurs ou de stratégies combinées, soit de façon plus dimensionnelle, en analysant les stratégies combinées de potentialisation ou d’augmentation utilisées et en précisant le recours, ou non, à l’électroconvulsivothérapie.
Plusieurs stratégies sont alors possibles. Poursuivre le changement de traitement antidépresseur, en testant d’autres molécules et en recherchant les modalités qui ont pu être efficaces antérieurement, en particulier dans le trouble unipolaire récurrent. Autre possibilité : potentialiser les traitements, en faisant par exemple appel au lithium, à des antipsychotiques ou certains psychostimulants. Cette approche, qui peut parfois conduire à des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché, est plus complexe et du ressort du spécialiste.
Des thérapies non médicamenteuses, kétamine…
Les techniques non médicamenteuses ont toute leur place : la neuromodulation – avec la stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS), la stimulation transcrânienne par courant électrique continu de faible intensité (tDCS), ou encore la stimulation du nerf vague – tout comme les stratégies combinées psychothérapiques, notamment les thérapies cognitivocomportementales.
Parallèlement, des traitements pharmacologiques plus innovants arrivent, comme la kétamine, approuvée il y a quelques mois aux États-Unis. « Elle agit sur d’autres voies biologiques que celles habituellement ciblées par les antidépresseurs, en modulant le système glutamate avec, chez certains patients, de très bons résultats en quelques jours, voire heures, indique le Pr Haffen. Il s’agit donc d’un véritable changement de paradigme, qui ouvre la voie à des médicaments qui ciblent d’autres systèmes que les monoamines. »
Des progrès viendront aussi d’un meilleur démembrement de la dépression, « cette entité très hétérogène qui regroupe des maladies de formes et de mécanismes variables sur le plan biologique et environnemental, explique le Pr Haffen. Nous sommes ainsi à la veille d’une évolution importante du traitement de la dépression, qui pourra être mieux adapté à chaque type de dépression ».
Entretien avec le Pr Emmanuel Haffen, CHRU de Besançon
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