En septembre 2004, L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) indiquait qu’elle avait été informée de la décision des laboratoires MSD-Chibret de l'arrêt mondial de la commercialisation de leur spécialité Vioxx (rofécoxib). Cette décision était intervenue à la suite d'une analyse des résultats intermédiaires d'un essai clinique attestant un doublement du risque relatif d'événements cardiovasculaires (CV), infarctus du myocarde (IDM) et accident vasculaire cérébral (AVC) par rapport au placebo.
Le profil de sécurité CV du célécoxib (Célébrex) apparaissant meilleur, cette molécule n’avait pas été retirée du marché et les laboratoires Pfizer qui la commercialisait avait débuté une étude d’évaluation de la sécurité CV de leur molécule, comparativement à deux AINS de référence, l’ibuprofène et le naproxène.
Les résultats de cette étude dénommée PRECISION (Prospective Randomized Evaluation of Celecoxib Integrated Safety Versus Ibuprofen or Naproxen) ont été présentés par Steven Nisse concomitamment à leur publication dans le New England Journal of Medicine.
24 081 patients atteints d’une maladie rhumatismale chronique (arthrose dans 90 % des cas et polyarthrite rhumatoïde) et devant être traités par AINS durant au moins 6 mois ont été inclus dans cette étude. À l’inclusion, ils étaient âgés en moyenne de 63 ans, 64 % étaient de femmes, 23 % avaient une maladie CV et 46 % prenaient de l’aspirine.
Ces patients ont été randomisés pour recevoir soit du celecoxib (2 x 100 mg/j), soit de l’ibuprofène (3 x 600 mg/j), soit du naproxène (à 2 x 375 mg/j), tous recevant en sus de l’esoméprazole (à 20 ou 40 mg/j).
L’hypothèse évaluée était celle d’une non-infériorité (marge : 1,33 en intention de traiter et 1,40 en per-protocole, avec un IC à 97,5 % du fait de deux comparaisons) du célécoxib par rapport aux deux autres AINS sur un critère composé des décès CV, IDM non fatals et AVC non fatals.
Deux analyses du critère primaire ont été conduites et leurs résultats sont concordants :
- en intention de traiter, un évènement du critère primaire est survenu chez 188 patients du groupe celecoxib (2,3 %), 201 patients du groupe naproxène (2,5 %) et 218 patients du groupe ibuprofène (2,7 %). Chaque comparaison du célécoxib avec un des deux AINS a satisfait à la démonstration de la non-infériorité (celecoxib vs. naproxène : HR : 0,93 ; IC95 % : 0,76-1,13 et celecoxib vs. ibuprofène : HR : 0,85 ; IC95 % : 0,70-1,04) ;
- en per-protocole, un évènement du critère primaire est survenu chez 134 patients du groupe célécoxib (1,7 %), 144 patients du groupe naproxène (1,8 %) et 155 patients du groupe ibuprofène (1,9 %). Chaque comparaison du célécoxib avec un des deux AINS a satisfait à la démonstration de la non-infériorité (célécoxib vs. naproxène : HR : 0,90 ; IC95 % : 0,71-1,15 et célécoxib vs. ibuprofène : HR : 0,81 ; IC95 % : 0,65-1,02).
Ainsi, en première analyse, le célécoxib n’est pas associé à un risque d’événements CV supérieurs aux AINS de référence. Mais peut-on valider cette conclusion ?
Le diable est dans les détails
En fait, cette étude, importante, ambitieuse et nécessaire ne permet pas de valider la conclusion qu’elle suggère car elle est entachée de très nombreux biais, probablement inhérents à la conduite d’un essai aussi important sur des maladies aussi particulières dont les symptômes et donc la justification du traitement sont intermittents.
Parmi ces limites : le fait que 67 à 70 % des patients selon les groupes ont arrêté leur traitement pendant l’étude, (50 % en moyenne à 18 mois), et celui que 27 % des patients ont été perdus de vue. Enfin, il n’y avait pas de groupe placebo et l’étude ne renseigne donc pas sur le risque CV associé à la prise d’AINS et/ou de coxib, mais potentiellement sur les risques respectifs associés aux trois traitements évalués.
Enfin, les commentateurs ont signalé plusieurs autres biais liés à la conduite propre de l’étude : les renseignements concernant la prise d’aspirine sont déclaratifs, sans suivi du traitement et ou de sa dose durant l’étude, la marge de non-infériorité a été modifiée en cours d’étude passant de 0,30 à 0,40 dans l’analyse per-protocole.
Comme l’a dit Steven Nissen à l’issue de sa présentation : ces données devront être analysées avec grande prudence par les autorités de santé afin de déterminer s’il est utile d’effectuer des modifications dans les notices ou dans les agréments des molécules évaluées dans cet essai.
Nissen SE et al. N Engl J Med 2016; DOI: 10.1056/NeJMoa1611593.
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