Forum des rumeurs
En décrivant, dans un article paru en 1950, une zone située dans la partie antérieure du vagin, à proximité de l’urètre, le gynécologue berlinois Ernst Gräfenberg émit l’hypothèse qu’elle était déterminante pour le déclenchement de l’orgasme féminin ; il se fondait sur les anorgasmies coïtales secondaires qu’il avait observées chez des patientes hystérectomisées avec un délabrement vaginal tout particulier, justement dans cette zone. Reprise en 1980 avec, pour lui rendre hommage, l’appellation « point G », cette hypothèse a déclenché un tsunami de littérature et d’articles, scientifiques et grand public, unique dans les annales médicales.
Autour de ce « continent noir, obscur et impénétrable », de la sexualité féminine, pour reprendre les mots de Freud, le combat fait rage entre les pour et les contre. Ceux-ci cataloguent le point G à la rubrique des mythes et chimères, à classer entre le Yéti et le monstre du Loch Ness. A défaut d’apporter la preuve de son inexistence, l’urologue israélien Amichal Kilchevky a passé en revue 96 études sur le sujet, parues depuis l’article princeps de 1950 jusqu’à 2011, concluant que « des mesures objectives n’ont pas réussi à fournir de preuves solides et consistantes du point Gräfenberg en tant qu’entité anatomique distincte ».
Les mouvements féministes abondent souvent dans cette protestation, qui voient d’un mauvais œil le retour du plaisir vaginal sur le devant de la scène sexologique. Et puisqu’on n’est pas sous l’empire de l’evidence based medecine, le verdict populaire clôt le débat : deux internautes sur trois ne l’ont pas rencontré, c’est donc bien que le point G n’existe pas (sondage réalisé par un site médical grand public).
Zapping épidémiologique
Parmi les études qui concluent inversement à l’existence du point G, quatre publications sont souvent citées :
– 1 289 femmes travaillant dans le secteur santé au Canada et aux Etats-Unis interrogées en 1990 sur leur perception du point G répondaient pour 66% d’entre elles qu’elles sentaient bien une zone sensitive particulière dans leur vagin qui, lorsqu’elle était stimulée, leur procurait une sensation de plaisir (Archives of sexual behavior, vol. 19, n° 1, p. 29-47)
– La présence de tissu pseudo-caverneux érectile à l’intérieur de la muqueuse de la paroi antérieure du vagin a pu être mise en évidence chez 89% des femmes d’une série de 14 autopsies (D’Amati et al., 2002)
– Des médecins américains de l’Institut de gynécologie de Saint-Pétersbourg ayant procédé à la dissection de la paroi intérieure d’un vagin sur le cadavre d’une femme de 83 ans affirment avoir identifié le point G sous la forme d’une petite cavité située sur l’arrière de la membrane périnéale, à 16 mmm de la partie supérieure de l’orifice de l’urètre ; il pourrait mesurer 8 mm de longueur sur une largeur de 1,5 à 3,6 mm et une profondeur de 0,4 mm (Journal of sexual medicine, 2012).
– Les échographies pratiquées sur 30 femmes par la gynécologue italienne Emanuele Jannini ont décelé une différence anatomique entre les femmes « orgasmiques vaginales » et les autres : le tissu entre le vagin et l’urètre est nettement plus fin dans le premier groupe et il répond mieux aux stimulations (revues Nature Urology, 2009 et août 2014).
Zoom de l’expert
« Quand on parcourt tout ce qui a été publié sur le point G, remarque la psychothérapeute et sexologue Nathalie Dessaux, on lit comme une nouvelle quête du Graal, avec un rêve sous-jacent : il existerait un bouton déclencheur sur lequel il suffirait d’appuyer pour obtenir un orgasme vaginal. En fait, cet imaginaire fantasmatique repose bien sur une réalité physiologique, une zone richement innervée du vagin, mais qui n’est pas un point, qui communique de manière dynamique avec le clitoris, lequel vient s’y appuyer lors de la pénétration ; on observe toute une unité fonctionnelle et anatomique entre la vulve, le clitoris, le vagin, l’urètre et l’anus. »
« En consultation, je n’ai jamais entendu de question sur le point G, mais des plaintes venant de femmes qui n’accèdent pas à l’orgasme. Le point G pourrait être rassurant autant pour elles que pour leur partenaire, en focalisant sur un terrain circonscrit, encore une fois, comme le Graal des chevaliers de la Table ronde. Mais quand bien même toutes les technologies de pointe, thermographie, vulvoscopie et autres tests neuro-physiologiques, permettraient de circonscrire une zone corporelle-gâchette, elles ne nous renseigneront pas sur les facteurs déclenchants qui permettent d’orgasmer. La quête ultime de la jouissance ne passera pas par un standard validé. »
Article précédent
Comment les mensurations du pénis sont évoquées par les femmes
Article suivant
Verbaliser n'est pas jouer
L'histoire mouvementée du bénéfice-risque de la masturbation
Le tabou de la taille du vagin
L'hypersexualité n'est pas un motif de consultation en addictologie
L'hypothèse controversée du lien alopécie-libido
Comment les mensurations du pénis sont évoquées par les femmes
La discussion autour du point de Gräfenberg n'est toujours pas close
Verbaliser n'est pas jouer
Les pratiques sexuelles des champions bientôt évaluées
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024