Tardigrade et rat-taupe nu, des alliés surprenants de la recherche

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Publié le 07/07/2023
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Les extrémophiles fascinent les chercheurs : leur étude pourrait à terme permettre de trouver des parades à un grand nombre de pathologies humaines.
Le tardigrade, animal considéré comme le plus résistant jamais découvert

Le tardigrade, animal considéré comme le plus résistant jamais découvert

Confrontées à des conditions de vie extrêmes, des espèces ont développé des mécanismes de défense parfois impressionnants. Ainsi, les chauves-souris sont connues pour servir de réservoir à une immense variété d'agents infectieux tout en étant elles-mêmes peu affectées. L'étude de leur système immunitaire est une clé à la mise au point de futurs traitements.

Mais la palme de la résistance revient à l'ordre des tardigrades, capable de survivre à des pressions qui feraient éclater jusqu'aux bactéries ultrarésistantes des fosses océaniques. Ce petit animal de 0,1 à 1,2 mm, aux allures de panda aveugle à huit pattes, parfois appelé ourson d'eau, survit aussi au vide spatial, à des températures de plusieurs centaines de degrés, à l'azote liquide ou à des doses massives de radiations.

Il existe environ 1 400 espèces de tardigrades connues à ce jour dont 300 marines. Chacune d'entre elles a développé ses propres stratégies de résistance. Dès 1996, les premiers génomes qui ont été séquencés ont été étudiés à Montpellier. « Ils sont porteurs de gènes uniques, dont certains ont été empruntés aux bactéries ou à des organismes disparus, explique Simon Galas, chercheur à Institut des biomolécules Max Mousseron (IBMM, université de Montpellier). Depuis 600 millions d'années, cet organisme s'est fait une spécialité de capter des gènes dans l'environnement et de sélectionner ceux qui lui permettront de survivre. »

Son principal atout réside dans sa capacité à se mettre en état de cryptobiose, c’est-à-dire à se dessécher entièrement en attendant le retour à une situation plus vivable. Ils disposent aussi de capacité d'élimination des toxiques hors du commun. « Les tardigrades sont les premiers à recoloniser des terrains pollués », précise Simon Galas.

Une application dans la conservation des plaquettes

Lors de la cryptobiose, les chercheurs ont remarqué que les cellules du tardigrade se remplissent d'un sucre, le tréhalose. En 2001, des chercheurs californiens (1) ont démontré que les plaquettes humaines chargées en tréhalose survivent à la congélation, alors qu'elles ne résistent habituellement pas à un tel traitement.

Vingt ans plus tard, une autre équipe américaine découvrait l'interaction du tréhalose avec une protéine particulière, la CAHS, pour protéger les cellules contre la dessiccation (2), ce qui ouvre la voie à de nouvelles techniques de préservation des produits sanguins, en particulier du facteur VIII de coagulation.

D'autres découvertes récentes ouvrent des pistes : « une protéine jusque-là inconnue, la Dsup (pour Damage Suppressor), serait capable de créer une gaine protectrice autour des chromosomes », explique Myriam Michaud (IBMM et laboratoire de toxicologie, université de Montpelier).

Le Mathusalem des rongeurs

Petit rongeur originaire de la corne africaine, le rat-taupe nu aussi est soumis à des conditions de vie effroyables. Vivant dans des colonies matriarcales surchauffées et pauvres en oxygène, creusées dans des sols riches en métaux lourds, la sélection naturelle l'a doté d'un arsenal qui le protège des pathologies cardiovasculaires, des cancers, des maladies neurologiques…

Plongé dans une atmosphère avec 0 % d'oxygène, il est capable de survivre 18 minutes. Avec 5 % d'oxygène, il survit des jours entiers. Son espérance de vie est également stupéfiante : jusqu'à 37 ans contre deux pour une souris. « Certains rats que j'ai vu naître mourront après mon départ en retraite », ironise Mélanie Viltard, chargée de projet scientifique à la Fondation pour la recherche en physiologie, une agence de moyens qui promeut l'utilisation du rat-taupe nu dans la recherche.

De par sa quasi-invulnérabilité, ce rongeur n'est pas un bon modèle pour tester des thérapeutiques. En revanche, les chercheurs espèrent dupliquer la foule de mécanismes qui protègent l'animal. « Pour cela, il n'est pas nécessaire de tuer cet animal », explique Mélanie Viltard. Des travaux sont donc menés sur cultures cellulaires.

Avec l'institut Cochin, la Fondation pour la recherche en physiologie utilise des fibroblastes de rat-taupe nu pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Des travaux précédents ont déjà mis en évidence que l'exceptionnelle capacité de cicatrisation de l'animal est liée à la présence de grosses molécules d'acide hyaluronique de haut poids moléculaire empêchant les cellules de croître et de devenir tumorales. Autre particularité : l'énorme stabilité de son génome, grâce à des processus de réparation d'ADN hors norme. « Si on l'expose à des substances très cancérigènes, il ne développe pas de tumeur », s'émerveille Mélanie Viltard.

D'autres équipes s'intéressent à sa résistance au manque d'oxygène et ont découvert qu'à l'image des plantes, le rat-taupe nu sait utiliser du fructose pour faire fonctionner ses organes en anaérobie. « C'est un mécanisme qui pourrait être utilisé pour contrer les effets des AVC », précise Mélanie Viltard. Enfin, d'autres scientifiques cherchent à comprendre pourquoi le rat-taupe nu ne souffre jamais de maladie neurodégénérative malgré d'énormes concentrations en peptide amyloïde bêta dans son système nerveux.

(1) W. Wolkers et al, Cryobiology, 2001. doi: 10.1006/cryo.2001.2306
(2) K. Nguyen et al, Communications Biology, 2022. doi.org/10.1038/s42003-022-04015-2

Damien Coulomb

Source : lequotidiendumedecin.fr