L’ingénierie tissulaire : le « Graal »

Le charme discret de la physique des tissus mous

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Publié le 09/10/2017
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PEAU

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Crédit photo : PHANIE

Quand on cherche à se représenter une discipline scientifique capable de faire avancer l’innovation thérapeutique, la mécanique des solides n’est pas celle qui vient le plus spontanément à l’esprit. Mais pour Jean-Marc Allain, il en va tout autrement. Chercheur et professeur chargé de cours à l’École polytechnique, ce physicien est à la poursuite de ce qu’il appelle lui-même un « Graal » : l’ingénierie tissulaire. Et pour cela, il soumet à longueur de journée des morceaux de peau de souris à des sollicitations mécaniques diverses et variées.

« L’ingénierie tissulaire consiste à prendre des cellules despécifiées quelque part, à les cultiver, les combiner à ce que l’on appelle un scaffold (échafaudage) et à les réimplanter », explique le chercheur. « L’une des difficultés consiste à comprendre le stimulus mécanique auquel il faut soumettre les cellules prélevées pour obtenir une peau ou un tendon », poursuit-il.

Plutôt spaghettis ou plutôt chewing-gum ?

Et c’est là que la mécanique des solides entre en jeu. L’ambition de Jean-Marc Allain : modéliser à l’échelle cellulaire le comportement d’un tissu mou face à des forces exercées sur lui à l’échelle macroscopique. « Il faudrait un modèle prédictif qui permette de dire : "si vous prenez tel scaffold, et si vous tirez de telle manière, la cellule va se comporter comme ça" », explique le chercheur.

Par exemple : on a longtemps cru que les fibres de la peau résistaient aux tractions en s’étirant, puis en cassant, un peu à la manière d’un plat de spaghettis. « On a pu prouver que ce modèle était faux », explique le chercheur de l’École polytechnique. En réalité, la résistance des fibres aux tractions s’exerce de manière continue. « Elles coulent comme du chewing-gum », s’amuse Jean-Marc Allain.

Les fibres à la loupe

Pour observer ces comportements et parvenir à ce type de résultat, Jean-Marc Allain et son laboratoire disposent notamment des techniques d’imagerie du Laboratoire d’optique et biosciences de l’École polytechnique. Grâce à cet outil, les chercheurs peuvent procéder à leurs essais, tenter une modélisation et vérifier si leurs prédictions correspondent à la réalité lors de nouveaux essais. Car comme l’indique Jean-Marc Allain, « il y a bien des manières de tirer sur une peau de souris ». Il est donc nécessaire de faire varier les différents paramètres : vitesse et direction des tractions, fréquence des sollicitations, etc.

« Le problème, c’est que nous ne pouvons pas tester des milliers d’échantillons en parallèle, il nous faudrait autant de biopsies et de capteurs de déplacement, ce serait trop cher », regrette Jean-Marc Allain. Avant de pouvoir représenter une alternative potentielle aux prothèses et autres autogreffes, l’ingénierie tissulaire a donc encore beaucoup de progrès à faire. « Il y a eu quelques succès sur l’os dans d’autres labos, mais on est encore loin d’une mise sur le marché », reconnaît Jean-Marc Allain. « Nous sommes dans la recherche fondamentale et il n’y a pas encore de produit spécifique visé pour un développement futur, encore moins pour un essai clinique. »

Adrien Renaud

Source : Le Quotidien du médecin: 9608